Le Point.fr - 29/02/2012
par Anne Jeanblanc (avec APM)
Un lobby industriel veut s'opposer à la publication d'études sur les effets sur la santé des mineurs des gaz d'échappement des moteurs diesel.
Un lobby industriel minier américain a réussi à bloquer la publication d'études scientifiques relatives aux liens entre cancer et environnement en menaçant des revues médicales internationales de "conséquences" si elles publiaient les études en question, rapporte The Lancet, l'une des revues visées. Les articles scientifiques en question sont tirés de l'étude DEMS dirigée par le National Cancer Institute (NCI) et le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) américains, conçue pour évaluer le risque de cancer du poumon chez 12 000 mineurs souterrains exposés aux gaz d'échappement des moteurs diesel.
Ces données pourraient modifier le classement de ces gaz du point de vue de la carcinogénicité(*), le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) devant réévaluer son classement en juin, précise une dépêche de l'agence APM. Mais cette réévaluation ne peut se faire que sur la base de données publiées. Actuellement, les gaz d'échappement des moteurs diesel sont classés comme "probablement carcinogènes pour l'homme".
"Je n'ai jamais vu ça"
Une lettre adressée à plusieurs journaux scientifiques, dont The Lancet, par l'avocat représentant le Mining Awareness Resource Groupe (MARG) conseille à ces journaux de s'abstenir de diffuser des articles concernant cette étude, en attendant l'issue d'une action en justice visant à obliger le NCI et le NIOSH à partager avec le lobby minier leurs données avant leur publication. La lettre évoque de façon imprécise des "conséquences" en cas de publication prématurée de l'étude.
Trois articles ont été acceptés pour publication, dans les Annals of Occupational Hygiene, qui a également reçu la lettre, ainsi que dans le Journal of the National Cancer Institute, mais "leur publication a été reportée à la demande des auteurs" jusqu'à la décision de justice, indique The Lancet. "Je n'ai jamais vu ça", témoigne Dana Loomis, directrice de la revue médicale Occupational and Environmental Medicine, au sujet de la lettre, dans The Lancet. "C'est vague et menaçant. C'est inquiétant pour la communication scientifique - un sujet de graves inquiétudes."
"Les menaces d'action en justice faites aux éditeurs de journaux pourraient devenir une autre tactique utilisée par l'industrie quand des intérêts économiques sont potentiellement mis en danger par des preuves scientifiques de nuisance", craint Celeste Morton, de l'université George Washington à Washington. "Certains directeurs de revues pourraient ne pas vouloir courir le risque d'être entraînés dans un processus judiciaire, avec les coûts associés." Le Circ reste cependant confiant dans le fait que le processus légal américain soit "conclu à temps pour que l'agence dispose des bases les plus fiables afin de protéger la santé des personnes dans le monde", déclare son directeur, Christopher Wild, dans The Lancet.
(*) ce qui provoque ou favorise le développement d'un cancer
(http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/anne-jeanblanc/cancer-et-environnement-la-loi-du-silence-29-02-2012-1436457_57.php)