Le Point.fr - 10/02/2012
par Jean Guisnel
Face aux aigreurs de Londres, où la défaite de l'Eurofighter Typhoon ne passe pas, New Delhi donne quelques précisions sur les raisons de son choix.
La victoire du Rafale en Inde est irréversible, affirme, ce vendredi matin, le gouvernement indien cité par le supplément économique du grand quotidien indien Times of India. Le journal précise que le Rafale s'est trouvé vainqueur de l'appel d'offres MMRCA (Medium Multirole Combat Aircraft), lancé en 2004, sur deux critères essentiels. Le premier élément cité par une "source gouvernementale" indienne n'est pas le prix d'achat, mais ce que les milieux aéronautiques appellent le LCC ou Life Cycle Cost, c'est-à-dire le coût de la flotte entière d'avions sur les 40 ans (ou 6 000 heures de vol) d'activité de chaque appareil.
C'est ce chiffre - soigneusement tenu secret aussi bien par les Indiens que par les Français - qui s'est révélé décisif pour le choix de l'IAF (Indian Air Force), parmi 650 éléments d'analyse économique ou opérationnelle, "et qui est en fait l'outil qui a déterminé qui était le mieux-disant." En deuxième lieu, le prix proposé par les Français pour l'acquisition de chaque appareil a entériné la réussite du Rafale. La source citée par le journal poursuit : "La proposition commerciale du Typhoon était beaucoup trop élevée. Le Rafale était clairement le meilleur sur les deux plans." Personne, ailleurs que dans les milieux concernés par le contrat, ne connaît précisément les montants financiers concernés. Sans autre précision, les Indiens parlent de 20 milliards de dollars (15 milliards d'euros).
La fureur de David Cameron
Cette réponse sans ambiguïté du gouvernement indien fait suite à une polémique déclenchée par les Britanniques, ancienne puissance coloniale de l'Inde, à qui la victoire du Rafale sur le Typhoon reste en travers de la gorge. Le Premier ministre David Cameron, qui avait fait du marché indien une priorité de son mandat, digère d'autant plus mal le choix de New Delhi que Londres verse à son ancienne colonie un milliard de livres sterling (1,2 milliard d'euros) d'aides annuelles. Toutes proportions gardées, car le marché n'était pas de la même ampleur, la déception britannique est comparable à celle ressentie à Paris lors de l'humiliante défaite du Rafale au Maroc, à l'automne 2007.
De plus, les pays partenaires du Typhoon (Royaume-Uni, Allemagne, Italie et, dans une moindre mesure, Espagne), de même que les industriels producteurs (essentiellement BAe Systems, EADS Cassidian, Alenia et Eurojet), estiment que l'Eurofighter est techniquement supérieur au Rafale. Curieusement, les Britanniques BAe Systems avaient pris le commandement médiatique de l'opération de vente du Typhoon en Inde, alors même que le partenaire allemand du consortium, Cassidian, avait la main sur les négociations. Pour Andrew Gallagher, directeur général de BAe Systems India, le "Typhoon est le meilleur avion multirôle mondial de sa génération. Ce n'est pas seulement l'appareil le plus moderne dans la compétition : il entame un cycle de modernisation de quarante années". Et un porte-parole de la firme britannique ajoutait après l'annonce indienne : "les Indiens n'ont rendu public que l'avis du comité des prix. Il se passera du temps avant qu'un contrat ne soit signé. Cette affaire n'est pas faite."
Le Rafale, meilleur en Libye
La rancoeur britannique est d'autant plus forte que - comme l'écrivait le Financial Times le 7 février dernier - on pense à Londres que Dassault "a conduit sa campagne depuis les murs de béton gris de l'ambassade de France", préférant tourner le dos aux "deux plus solides économies européennes, l'Allemagne et le Royaume-Uni, pour lui préférer la France, qui vient de perdre son triple A". Des réactions de mauvais joueurs ? Toujours est-il que les Indiens, excédés par l'attitude néo-colonialiste britannique, répondent aujourd'hui que l'offre française était inférieure de 22 à 25 %, ce qui paraît irrattrapable. Londres et Berlin ont bien fait valoir qu'ils pouvaient remettre une nouvelle offre plus basse pour contrer celle des Français, mais c'est peine perdue. C'est très précisément le message que fait passer ce vendredi le Times of India, alors même que les Indiens affirment avoir appliqué des règles de totale transparence dans la détermination du mieux-disant.
Le journal Sunday Telegraph expliquait dimanche dernier que les Britanniques ne doivent imputer la défaite de l'Eurofighter Typhoon à personne d'autre qu'à eux-mêmes. Évoquant pêle-mêle l'incapacité des partenaires à faire évoluer le Typhoon, pour des raisons budgétaires, le journal entérine la supériorité du Rafale, admettant que ses capacités de reconnaissance et un meilleur radar ont fait la différence lors des récentes opérations au-dessus de la Libye. Le Typhoon est "moins versatile que le Rafale", avoue, avec gêne, le Sunday Telegraph, comme s'il s'enfonçait un poignard dans le cœur, soulignant que le Typhoon n'est même pas capable d'emporter le missile SCALP - appelé Storm Shadow dans l'inventaire britannique -, de ce fait réservé aux antiques Tornado. Et aux avions français Mirage 2000 et Rafale, argument opérationnel de poids ! Chez Dassault, on se refuse à tout commentaire. Un cadre interrogé sur cet article se contente de glisser froidement : "Je le connais, il est encadré dans mon bureau !"
126 Rafale, ou plutôt 200 ?
On sait que les 126 Rafale dont elle va commencer à négocier l'achat pourraient être complétés par 74 autres exemplaires, ce qui porterait la commande totale à 200 avions. De plus, l'Inde a passé commande de 272 avions russes Sukhoi SU-30, dont la version Su-30MKI est capable de porter l'énorme missile air-mer BrahMos et sans doute des bombes nucléaires. On sait aussi que l'Inde possède des Mirage 2000, dont la modernisation par l'industrie française vient d'être décidée, et qu'elle a développé avec l'aide américaine son LCA Tejas, un petit chasseur multirôle qu'elle prévoit d'acquérir à 260 exemplaires.
La montée en puissance militaire de l'Inde est clairement illustrée par sa politique d'acquisition d'avions de combat modernes.
(http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/jean-guisnel/les-indiens-expliquent-la-victoire-du-rafale-10-02-2012-1430078_53.php)[i]