La Tribune.fr - 10.02.2012
Par Jean-Christophe Chanut
Pourquoi un referendum sur le chômage n'aurait pas de sens
L'idée de Nicolas Sarkozy de proposer par referendum une modification des règles d'indemnisation du chômage se heurte à de nombreux obstacles juridiques et pratiques. De surcroît, l'assurance chômage est un régime paritaire géré par les syndicats et le patronat.
Cliver ! Cliver toujours. Nicolas Sarkozy raffole des propositions qui déclenchent les foudres. Encore une fois, le président-quasi-candidat a atteint son objectif en proposant, dans un entretien accordé au Figaro Magazine, d'organiser un referendum sur l'indemnisation du chômage. Mais qu'a dit exactement le Chef de l'État ? Il suggère de "créer un nouveau système dans lequel l'indemnisation ne sera pas une allocation que l'on touche passivement mais la rémunération que le service public de l'emploi versera à chaque demandeur d'emploi en contrepartie de la formation qu'il devra suivre". Un dispositif qui s'appliquerait "passé quelques mois" à tout chômeur "sans perspective sérieuse de reprise d'emploi". Et, à l'issue de cette formation "qualifiante", "le chômeur serait tenu d'accepter la première offre d'emploi correspondant au métier pour lequel il aura été nouvellement formé". Il reviendrait aux partenaires sociaux de mener cette réforme mais, ajoute le président "si les intérêts particuliers, les obstacles catégoriels s'avéraient trop puissants, il faudrait sans doute réfléchir à l'opportunité de s'adresser directement aux Français". Via, donc, un referendum.
La proposition présidentielle "choc" est-elle réaliste ? On peut en douter tant elle se confronte à de nombreux obstacles juridiques et pratiques. D'ailleurs, le patronat lui-même, via notamment la CGPME, a déjà fait connaître son opposition.
La difficulté de répondre par "oui" ou " non"
Premier point totalement basique. Un referendum est une procédure par laquelle les citoyens sont appelés à se prononcer directement par un vote en répondant à une question posée par "oui" ou par "non". Il serait, dès lors, intéressant de voir comment serait posée une question sur l'indemnisation du chômage, sujet très complexe. On se souvient qu'en 2005, le referendum (où le "non" a dépassé les 54%) sur le projet de traité instituant une Constitution européenne (plus de 400 articles !) a été totalement incompris... Ce qui explique, en partie, le résultat.
Deuxième point. L'article 11 de la Constitution prévoit que le Président de la République peut soumettre au peuple un projet de loi portant sur "les réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent". Ce serait notamment le cas si les pouvoirs publics souhaitaient, par exemple, supprimer la Sécurité sociale, ou sortir le pays de l'Union européenne. En revanche, on peut douter de la légalité d'un referendum s'agissant de l'assurance chômage. Certes, depuis une loi de 2008, l'ANPE (État) et les Assedic (partenaires sociaux) ont été fusionnées dans Pôle Emploi, établissement public à caractère administratif (EPA). Il n'en reste pas moins que depuis l'instauration de l'Unedic en 1958, les conventions qui régissent l'indemnisation du chômage sont conclues entre les syndicats de salariés, d'une part, et les organisations patronales, d'autre part. Il revient juste à l'État de ratifier ces conventions (la dernière s'applique depuis le 1er juin 2011). En d'autres termes, tout comme les retraites complémentaires Arrco et Agirc, l'assurance chômage est un régime paritaire. D'ailleurs, les 30 milliards de cotisations annuelles prélevées par l'Unedic le sont sur les entreprises et les salariés. Il ne s'agit pas de fonds publics. Dès lors, il revient légalement aux seuls partenaires sociaux de revoir éventuellement les règles d'indemnisation. À cet égard, dans le temps, certaines conventions d'assurance chômage prévoyaient la dégressivité des allocations.
L'assurance chômage est un régime relevant des syndicats et du patronat, pas de l'État
De plus, comme son nom l'indique, l'assurance chômage est un système assurantiel qui donne automatiquement droit à une allocation en fonction du temps travaillé (dans la limite de 36 mois pour les plus de 50 ans). Et depuis l'instauration du "projet personnalisé d'accès à l'emploi", sorte d'héritier du fameux "plan d'aide au retour à l'emploi" (Pare), institué avec fracas à la fin des années quatre-vingt-dix, le demandeur d'emploi est déjà tenu à différentes obligations. Ainsi, il ne peut refuser "sans motif légitime", sous peine d'être radié, plus de deux "offres raisonnables d'emploi". Des sanctions existent donc déjà, certes plus ou moins drastiquement appliquées en fonction de la situation de l'emploi. Par ailleurs, il paraît extrêmement ambitieux de vouloir proposer une formation qualifiante à plus de deux millions de chômeurs alors que, déjà, actuellement, Pôle Emploi n'arrive pas à répondre aux demandes de formation des chômeurs.
Éventuellement, la proposition présidentielle pourrait retrouver un certain sens - juridiquement parlant - si elle se limitait aux quelque 400.000 titulaires de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), d'un montant de ... 460 euros mensuels. L'ASS est une allocation servie par l'État aux demandeurs d'emploi qui ont épuisé leurs droits à l'assurance chômage. Il s'agit d'un régime purement étatique où les pouvoirs publics ont donc toute latitude pour fixer les règles de perception ou, à l'inverse, d'interruption du versement.
Ce sont surtout les emplois peu qualifiés qui sont recherchés
Troisième point. Nicolas Sarkozy propose qu'il revienne à une sorte de "comité national", composé de syndicalistes et de chefs d'entreprise, de déterminer "les secteurs d'avenir créateurs d'emplois". Un objectif très difficile. Si l'on se réfère à l'étude annuelle qui fait référence en la matière : l'enquête "Besoin en main d'œuvre" (BMO), réalisée par Pôle Emploi et le Credoc auprès de 1,6 million d'entreprises, les principaux métiers recherchés (hors saisonniers) concernent "les agents d'entretien de locaux", "les employés polyvalents de cuisine" dans la restauration, "les aides à domicile et aides ménagères". Pis, en 2011, la propension à recruter atteint 18% des entreprises consultées, contre 20% en 2010. Au total, l'enquête recensait 1.542.400 projets de recrutement, dont 13% dans l'hôtellerie-restauration qui reste le premier recruteur national. Des données à comparer aux 2.874.500 demandeurs d'emploi inscrits en catégorie A à la fin décembre 2011. On voit donc bien que l'offre d'emploi est loin d'égaler la demande et que les secteurs les plus porteurs le sont surtout en emplois peu qualifiés qui ne pourront satisfaire la part importante des demandeurs d'emploi qualifiés et/ou âgés.
En conclusion, la proposition de Nicolas Sarkozy a certainement un sens politiquement parlant, elle s'inscrit dans la lignée des nombreuses déclarations à l'encontre de l'assistanat, dont le ministre de l'Enseignement supérieur Laurent Wauquiez s'est fait le chantre. En revanche, juridiquement et techniquement parlant, l'idée d'un référendum pour obliger les chômeurs à reprendre un travail se heurte aux faits. Toujours têtus.
(http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20120210trib000682671/pourquoi-un-referendum-sur-le-chomage-n-aurait-pas-de-sens.html)