Marianne2.fr - 27.01.2012
par Régis Soubrouillard -
Trois ans après 2008, les manifestations d'opposition et de dissidence redoublent de vigueur. Face aux immolations, le gouvernement chinois emploie la force. Tir à vue, homicides, arrestations, et bouclage électronique de la région, le régime renoue avec la tradition maoïste dans une indifférence mondiale de plus en plus grande.
Image d'un moine s'immolant à Dawu dans le Sichuan Il est de moins en moins dit que c'est avec le bouddhisme - tibétain - que la Chine trouvera la paix intérieure... Jamais depuis 2008, les troubles n’ont été aussi violents, sévères et jamais le Parti Communiste n’a exercé une répression aussi sévère dans la région. Fait nouveau, les incidents qui opposent Tibétains et forces de sécurité chinoises se propagent désormais dans les zones de peuplement tibétain de la province voisine du Sichuan.
C’est le monastère de Kirti, que décrit l’essayiste tibétaine Tsering Woering, qui incarne ces nouvelles poches de résistance. Des moines jusqu’au-boutistes lassés des vieilles lunes autonomistes régulièrement agitées par Pékin et qui réclament leur indépendance.
Le premier bonze du monastère, Phuntok Jarutsang, 20 ans, s'est immolé le 16 mars 2011, trois ans jour pour jour après les émeutes anti-chinoises de Lhassa. Sa mort le lendemain a provoqué des émeutes dans de nombreuses régions du Tibet.
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Le monastère de Kirti, situé à Aba, dans le Sichuan, est le conservatoire de la religion et de l’activité militante. Pour la première fois, des Tibétains ont ressorti leur drapeau et affirmé leurs revendications indépendantistes. Ces monastères du Sichuan étaient jusque-là beaucoup plus tranquilles que ceux du Tibet. Ils constituent désormais de véritables poches de résistances. Très peu de moines tibétains affichent ce comportement. Il faut savoir que le suicide est sévèrement condamné par le bouddhisme » explique la sinologue Marie Holzman. D'où les manifestations et rassemblements après chaque immolation.
Seize immolations par le feu depuis mars 2011Selon des organisations de défense des Tibétains, les forces de l'ordre ont ouvert le feu lundi sur une manifestation rassemblant des Tibétains non armés dans une région tibétaine de la province du Sichuan, faisant au moins un mort et des dizaines de blessés.
Le gouvernement tibétain en exil (CTA), dont le siège est à Dharamsala, en Inde, a évoqué un possible bilan de six morts parmi les manifestants, en citant des témoins. Le gouvernement parle d’un « gang » manipulé par l’étranger qui s’en serait pris aux forces de l’ordre. Selon l'ONG
Free Tibet , la manifestation constituait une riposte à l'arrestation plus tôt lundi de Tibétains accusés d'avoir distribué des tracts portant le slogan «
le Tibet a besoin d'être libre ». Ces tracts affirmaient aussi que de nombreux Tibétains se déclaraient prêts à s'immoler par le feu. Depuis mars 2011, l’association
free Tibet a dénombré 16 immolations par le feu de moines bouddhistes.
Le ministre chinois de la Sécurité publique Meng Jianzhu s’est rendu au monastère tibétain de Kirti, en décembre dernier après ces séries d’immolations. Il a dit souhaiter que les moines «
continuent à œuvrer pour la promotion de l’enseignement patriotique et religieux, pour la solidarité entre ethnies, le développement économique et le progrès social ». Pas de quoi rassurer les ONG qui estiment que les récents suicides publics des moines illustrent surtout le désespoir face à la répression religieuse et culturelle menée par Pékin dans les régions tibétaines.
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Les récentes immolations s'apparentent à des gestes de protestation désespérés contre les restrictions des libertés fondamentales et contre les mesures de sécurité punitives imposées à plusieurs monastères dans la région » jugent les organisations
Amnesty International et
Human Rights Watch.
Des programmes de rééducation patriotique
Depuis avril 2011, le monastère de Kirti a, en effet, des allures de camp retranché, les 2.500 lamas qui y vivent ne peuvent plus le quitter : «
présence policière permanente, un millier de militaires, barbelés et postes d’observation ont été mis en place sur l’ensemble du périmètre » détaille
Human Rights Watch qui évoque des mesures policières provocatrices et dénonce l’augmentation des dépenses de sécurité dans la région depuis 2006 (5 fois plus importante que dans les zones non-tibétaines du Sichuan).
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La réaction du gouvernement chinois face au mouvement de protestation s'est traduite par des arrestations massives, des incarcérations et probablement des homicides commis par les forces de sécurité. Parmi les personnes arrêtées figurent 300 moines du monastère de Kirti, que les autorités ont dit avoir envoyés suivre un programme d'« éducation patriotique ».
Sûr que les événements de ces derniers jours n'ont rien arrangé.
Depuis des années, une forme de rééducation patriotique est à l’œuvre dans cette région qui compte de nombreux monastères tibétains. En 2008, avant les Jeux-Olympiques, c’est encore la manière douce que Pékin privilégiait, proposant des sommes d’argent aux moines pour rejeter le Dalaï Lama ou les menaçant d’expulsion en Inde.
L'ordre de tirer à vueLes Jeux Olympiques constituent, à ce titre, une période charnière : «
La Chine a raté son épreuve de légitimation. Les Jeux n’ont pas eu l’effet escompté en terme d’image. La presse internationale a pu apprécier les méthodes chinoises. Le régime a beaucoup perdu en légitimité, mais entend bien conserver son autorité sur son territoire » estime Marie Holzman, «
l’exemple de l’URSS est à ce titre édifiant. On sait que le système fonctionne de telle façon qu'il interdit tout rebondissement. Toute forme d’ouverture est exclue. On l’a vu avec Gorbatchev, c’est alors tout le système qui s’effondre. C’est ce qui explique, à mon avis, le recours à la manière forte. Outre le Tibet, des dissidents très peu connus, dont le régime pourrait très bien s’accommoder sont régulièrement condamnés à des peines de 10 ans de prison ».
Encore plus inquiétant, dans la lettre
Alerte Sécurité Sans Frontière, on parle désormais de « tirer à vue » : «
d’importantes difficultés dans les déplacements ont pu être observées alors que des renforts policiers prenaient la direction de Luhuo et Seda (Serthar en tibétain), où se sont déroulés les récents heurts, depuis Chengdu, capitale de la province du Sichuan (sud-ouest). Des permissions octroyées pour les célébrations du nouvel an chinois auraient ainsi été annulées. Cet important déploiement a également été constaté dans le quartier tibétain de Chengdu. Les communications téléphoniques et Internet auraient été coupées par les autorités.
Selon Bahukutumbi Raman, ancien chef de la division de contre-terrorisme de l’agence indienne de renseignement extérieur (RAW), un couvre-feu aurait été imposé et les policiers chinois auraient reçu pour ordre de tirer à vue dans le comté de Draggo (Luhuo en chinois, dans le Sichuan) ».
Des dizaines de véhicules de police se dirigeaient encore jeudi vers Luhuo, où des milliers de nomades et paysans indignés affluaient en début de semaine…
(http://www.marianne2.fr/Face-aux-Tibetains-Pekin-tire-a-vue-et-impose-la-reeducation-patriotique_a214905.html)