L'Express.fr - 26.01.2012
par Jacques Attali
États-Unis, Europe, pays émergents, nations musulmanes: Jacques Attali décrit ce qui attend le prochain président français.
[Chronique] Le paysage dans lequel se déroulera l'élection présidentielle française commence à se préciser; il serait temps pour les candidats d'en tenir compte. Pour ne parler que d'eux, quatre défis vont se présenter dans les deux années à venir, qui auront un impact considérable sur les marges de manœuvre dont disposera le prochain président français.
1. Dans le monde, un ralentissement économique majeur a commencé. La vitesse des bateaux de commerce ralentit sur toutes les mers. Le Baltic Dry Index, excellent baromètre du commerce mondial, vient de replonger au niveau de 2002 et s'approche désormais à nouveau de son plus bas niveau, atteint fin 2008. La croissance ralentit en Chine, en Inde, au Brésil, en Afrique. Même les pays les plus prometteurs vont avoir du mal à créer assez d'emplois pour leur jeunesse. L'Europe entrera en récession. Au total, la moyenne de la croissance mondiale n'atteindra pas 3%, le seuil le plus bas - excepté 2009 - depuis plus de dix ans. En France, les exportations seront encore plus difficiles. Cela veut dire aussi qu'il faudra choisir entre un protectionnisme provisoirement salvateur et un plan pour relancer la machine mondiale.
2. En Europe, malgré l'intervention massive de la BCE, qui va donner à tort le sentiment que l'étau se desserre, la situation de la dette publique de la plupart des pays va devenir intenable: pour la réduire, il faudrait des plans d'austérité dont la simultanéité ne ferait qu'aggraver la récession, réduire les recettes fiscales et augmenter les dépenses sociales. Il faudra donc choisir: se doter de moyens fédéraux pour lancer de grands travaux ou renoncer à l'euro; bâtir un fédéralisme démocratique ou voir s'effondrer le seul outil fédéral actuel, la BCE.
3. Aux États-Unis, après l'euphorie provoquée par la masse d'argent déversée en année préélectorale, on comprendra que, quel que soit le vainqueur en novembre prochain, le pays connaîtra de très grandes difficultés. Si Barack Obama est réélu, il n'aura pas la majorité dans les deux chambres du Congrès et ne pourra pas augmenter suffisamment les impôts pour enrayer la croissance exponentielle de la dette publique. Et s'il est battu, son successeur républicain sera tenu par ses promesses de réduction des impôts. Dans les deux cas, le dollar s'effondrera, ce qui mettra encore plus en péril la croissance en Europe et, en particulier, les exportations françaises. Que faire alors pour forcer les Américains à être au moins aussi rigoureux qu'ils prétendent vouloir convaincre les Européens de l'être.
4. Dans le monde musulman enfin, d'immenses choix sont nécessaires: l'Égypte n'a plus que trois mois de ressources devant elle pour importer ce dont elle a besoin, avant que son économie ne s'effondre. La Tunisie ne va guère mieux. La Syrie reste un lieu de martyre. En Iran, la poursuite entêtée du programme nucléaire rend de plus en plus vraisemblable une intervention militaire, avant ou après l'élection présidentielle américaine. Que faire, face à chacune de ces situations? S'en laver les mains ou intervenir? Et avec quels moyens?
Sur tout cela, on attend toujours que les candidats s'expriment.
(http://www.lexpress.fr/actualite/monde/les-defis-mondiaux-du-prochain-president-francais_1075537.html)