Par Silvère Boucher-Lambert le 9 novembre 2011
Alors que le feuilleton grec n’en finit plus de tenir les marchés européens en haleine, souvenons-nous que la Grèce a déjà fait faillite, en 1893. Le petit État qui a arraché son indépendance à l’empire ottoman en 1822 n’a alors que 71 ans d’existence. Il a vu les bonnes fées du capitalisme de l’Europe de l’Ouest se pencher sur son berceau. Qui l'on couvert de prêts en guise de cadeaux de naissance… Mais aussi de dettes.
La Grèce se lance alors dans de grands, trop grands travaux, tous azimuts. Le canal de Corinthe, long de plus de 6 kilomètres, percé entre la mer Ionienne et la mer Égée est le plus symbolique.
L’armée nationale, bâtie à grands coups de drachmes au service de velléités irrédentistes, coûte une fortune. Le développement de l’appareil d'État est exponentiel : la fonction publique est le premier employeur du pays, le nombre de fonctionnaires par habitant est le plus élevé d’Europe. Il faut dire que les puissances européennes avaient imposé à la Grèce en 1833 un monarque bavarois, Otton, qui s’est installé sur le trône avec la lubie de s’entourer d’une administration massive à l’allemande.
Dans un pays où le clientélisme règne en maître, les élus distribuent ces postes d’agents de l’État à leurs électeurs et leurs soutiens. Les capitaux étrangers, principalement anglais, qui affluent dans le pays, ne peuvent servir de leviers de croissance, tout entiers dédiés au remboursement des intérêts de la dette. Encouragée par l'étranger, la Grèce lance alors un emprunt international pour moderniser ce qui peut l’être. Les banques du monde entier se ruent pour prêter encore un peu plus aux hellènes. Le pays s’enfonce dans le puits sans fond de la dette.
En 1893, la Grèce finit par se déclarer en faillite, ne pouvant plus rembourser sa dette vertigineuse. Le premier ministre Charilaos Trikoupis, chauve comme Papandréou, moustachu comme Papandréou et issu d’une lignée d’hommes politiques comme Papandréou, tente de mener une politique drastique d’austérité afin d’assainir les finances. On lui prête la phrase célèbre, prononcées devant les députés : « Malheureusement, nous sommes ruinés ».
Les Grecs descendent dans la rue, en premier lieu les jeunes étudiants. L’armée qui a l’ennemi éternel ottoman en ligne de mire refuse tout net que l’on taille dans ses budgets. Acculé, Trikoupis quitte le pouvoir pour y revenir quelques mois plus tard et être confronté à une nouvelle dépense ruineuse dont il ne veut pas : l’organisation des premiers Jeux olympiques modernes. Trikoupis veut purement et simplement les annuler.
Le roi Georges 1er, s’y oppose, il est hors de question pour lui de renoncer à ce grand raout qui va célébrer l’héllénité devant toutes les nations européennes. Grâce aux dons de la diaspora, de notables et de princes européens, l’argent est finalement réuni. Les Grecs exultent lorsque leur compatriote Spyrídon Loúis devient le premier champion olympique du marathon de l’histoire moderne.
Pourtant, le retour à la réalité est dur l’année qui suit. La Grèce est toujours exsangue et s’offre le luxe d’une guerre avec l’Empire ottoman, déclenchée par le soulèvement des Crétois. Les expéditions en Macédoine et en Épire en vue de construire la «Grande Grèce» sont un désastre et ce n’est qu’au prix de lourdes compensations financières que les pertes territoriales sont limitées : le traité de Constantinople impose en septembre 1897 une indemnité exorbitante de 94,3 millions de francs-or au vaincu.
Pour financer cette nouvelle dette vertigineuse qui s'ajoute à toutes les précédentes, les Européens vont créer une Commission financière internationale qui va purement et simplement prendre le contrôle des affaires grecques. Le pays passe de facto sous tutelle budgétaire de l’Europe occidentale pour plusieurs décennies.
Le Figaro résume ainsi, en 1897, la situation. Un réquisitoire qui fait à bien des égards figure d’air connu :
« La Grèce peut-elle payer les frais de la folie qu'elle a commise, ou, faute d'administration et de gouvernement n'est-elle pas exposée à tomber peu à peu au rang de la Crète, dont elle avait rêvé l’annexion à son profit.(…)
Les nouveaux et les anciens créanciers de la Grèce ne peuvent plus se contenter, pour obtenir raison d'elle, des promesses qu'elle inscrirait volontiers dans un traité de paix. Il faut que ces promesses soient doublées de gages tangibles, saisissables et qui échappent au risque d'être détournés de leur destination, soit par la mauvaise volonté, soit par le laisser-aller d'une administration mal dirigée.
Les revenus que le gouvernement grec doit affecter au payement de ses diverses dettes seront donc placés sous l'administration d'un contrôle européen, formé par un délégué de chacune des puissances signataires du traité de Constantinople. Aux yeux des Grecs, c'est le comble de l'humiliation. »
(http://blog.lefigaro.fr/petite-histoire/2011/11/et-la-grece-se-declara-en-faillite.html)