Les hommes politiques, et cela inclut très souvent les plus hauts responsables, comme l’homme du commun, dans un pays pétrolier de l’OPEP tout particulièrement, ont une fâcheuse tendance à considérer la rente pétrolière comme la clef de sésame supposée ouvrir toutes les portes vers le bien-être.
Ainsi, l’on s’interroge régulièrement, notamment dans les journaux, sur la question de savoir où va l’argent du pétrole. Et beaucoup de gens estiment, non sans quelque conviction, que la répartition équitable, sous forme entre autres d’une augmentation conséquente des salaires, au profit des citoyens, constituerait même logiquement un droit naturel au partage des ressources collectives. En d’autres termes, un surcroît de recettes en devises venant spontanément remplir les caisses du trésor public doit être, de ce point de vue, distribué équitablement entre tous les citoyens du pays. Cela, c’est le raisonnement simpliste qui prédomine dans la tête de tout le monde, beaucoup de gens connaissant mal, hélas, le processus du circuit commercial et monétaire qui régit l’ensemble de l’économie mondiale en général et d'un pays en particulier.
Pour tenter de mettre les pendules à l’heure, nous allons donc, dans un souci surtout de vulgarisation et de compréhension du lecteur, essayer d’expliquer les mécanismes aboutissant à ces rentrées d’argent bienvenues dans un pays exportateur de pétrole ou de phosphates, de cuivre, d’or et autres produits miniers, dans un autre.
En prenant exemple sur l’Algérie, c’est par la Sonatrach, l’opérateur concerné dans le pays pour commercialiser le pétrole extrait du Sahara, que s’opèrent les exportations de pétrole et de gaz. C’est donc elle qui négocie avec les clients américains, asiatiques, européens ou autres, les conditions de vente, quant aux quantités, aux délais, au paiement, etc.
Sitôt l’exportation faite, Sonatrach perçoit alors, en dollars – monnaie couramment utilisée jusqu’ici -, le montant de chaque exportation, par l’entremise d’une banque étrangère ou locale, sous forme d’une simple écriture portée au crédit de son compte. Il n’y a donc qu’un jeu d’écritures que n’accompagne en aucun cas un quelconque transfert physique de liquidités. Autrement dit, si c’est par le Crédit Lyonnais de Paris, à titre d'exemple, que le paiement doit transiter, cette banque se contentera de porter au crédit du compte de la Sonatrach le montant de la transaction notifié directement ou indirectement par son correspondant de Londres, de New-York ou d'ailleurs, auprès duquel l’acheteur est censé avoir effectué le virement ou le dépôt. Pour résumer donc, tel client étranger X donne ordre à sa banque Y de payer, entre les mains du Crédit Lyonnais de Paris, le montant de la facture Sonatrach, accompagnant le chargement de pétrole envoyé à la destination de son choix.
Il appartiendra ensuite à Sonatrach de rapatrier en Algérie, dans un délai réglementé, le montant de cette vente à l'étranger. Et dès que le rapatriement est opéré, sous forme d’une nouvelle écriture en dinars portée à son crédit dans une banque algérienne, la Sonatrach pourra disposer de ses fonds et les utiliser selon ses besoins pour payer son personnel, ses frais généraux, ses investissements, ses taxes et impôts, etc.
Au final donc, nous observons qu’à un certain appauvrissement du pays en pétrole (quantité extraite et exportée au profit d’un acheteur étranger) correspond jusqu’ici une contrevaleur en dinars mise à la discrétion de Sonatrach. En même temps, d'un autre côté, se créent à partir de là ce que l’on appelle les pétrodollars, ces devises provenant du pétrole qui alimentent les principales banques étrangères et constituent les plus importantes et les plus sûres ressources du développement occidental.
La BCA, lors du transfert en effet, est créditée à son tour, dans un compte ouvert désigné par elle dans une banque étrangère, du montant en dollars de la facture que Sonatrach est censée rapatrier dans le délai, avons-nous dit, légalement fixé. Et en contrepartie de cet enrichissement de la BCA, donc de l’Algérie, en devises étrangères, une émission de monnaie additionnelle, à hauteur généralement, et sauf erreur, du quart de la contrevaleur en dinars du nouvel apport en devises, équilibre en partie la mise en circulation des dinars consommés par Sonatrach par puisement de son compte auprès de la banque algérienne à hauteur du montant de son encaissement, comme indiqué plus haut.
En fin de compte, si nous analysons les résultats de l’échange commercial, pétrole contre dollars, nous constatons :
1°) Que Sonatrach a été normalement payée pour son exportation ; qu’elle est libre de consommer à sa guise le produit de cette dernière ; qu’elle dispose des moyens nécessaires lui permettant de remplir ses obligations légales et de se libérer en particulier des taxes et impôts dus ; qu’elle dispose, enfin, d’une certaine marge de bénéfices directement liée au cours du pétrole du moment, et donc que cette marge, très importante désormais, suit étroitement le renchérissement des prix sur le marché mondial.
2°) Que la BCA accroît ses disponibilités en devises à hauteur des exportations de pétrole réalisées ; qu’elle les fait fructifier, selon ses propres évaluations, par placement dans des banques étrangères, qui assurent en même temps la sécurité des liquidités ; qu’elle fait appel à la planche à billets pour compenser, dans les limites internationalement autorisées, la consommation des dinars mis à la disposition de Sonatrach.
Par voie de conséquence, le soi-disant matelas de devises dont dispose aujourd’hui l’Algérie, à hauteur de 90 ou 100 milliards de dollars, ne peut être rapatrié, excepté dans l’intention de le thésauriser inutilement dans les coffres de la BCA, sans remettre en jeu l’équilibre monétaire instauré dans le pays.
En passant outre, on s'expose sans nul doute au choix entre deux situations diamétralement opposées qui permettent de saisir la portée exacte de l'usage que l'on peut faire des pétrodollars déposés à l’étranger :
1er cas - Favoriser les besoins de consommation directe :
On peut dilapider tout ou partie des pétrodollars dans la consommation, par exemple, des ménages pour satisfaire entre autres un besoin plus important de produits de luxe, comme les voitures, les appareils ménagers et autres gadgets destinés à améliorer simplement les conditions de vie des gens ou encore de la défense nationale, en important des matériels les plus sophistiqués (avions, navires, armes, etc.) n'apportant, dans un cas comme dans l'autre, aucune richesse au pays, exceptées celles de faire preuve d'immodération et d'un manque total de pondération. Ces gaspillages insensés nécessairement entraînent, de plus, un retrait de la circulation de l'excédent de monnaie désormais non couvert par la quôte-part exigible en devises, afin de contenir une tendance à l’inflation plus ou moins accusée que reflète la chute immédiate du dinar. En d’autres termes, si le pays venait à se trouver en possession, en-deça des limites admises, d’une certaine quantité X de devises, non directement proportionnelle au volume Y des dinars mis en circulation, un nécessaire ajustement de la valeur du dinar s’impose automatiquement au détriment du pouvoir d’achat.
2e cas - Favoriser l'achat d'équipements durables :
Inversement, si cette dépense en dollars est affectée à des achats d’équipements à usage industriel, agricole ou même commercial (s'ils participent, dans ce dernier cas, de la remise en route de matériels ou d’immobilisations créateurs de richesse), un tel appauvrissement se rattrape en vérité très vite, à mesure que les investissements nouveaux démarrent et concourent à rabaisser la facture des importations. Par exemple, si l’on paie en devises des importations de brevets et de machines servant à la fabrication de médicaments, le pays paiera moins ses futurs achats de médicaments et travaillera ainsi dans le sens de son propre développement. Au demeurant, une telle saignée, même quand elle exerce une certaine poussée sur l’inflation, comme nous venons de le voir plus haut, n’est pas de portée grave et durable dans la mesure où les nouveaux équipements importés fonctionneront normalement et créeront véritablement des richesses, à l’inverse des rossignols achetés durant la décennie quatre-vingts pour masquer une réelle escroquerie monstrueuse ayant pour nom «
affaire des 26 milliards $ de Brahimi ».
Dans le prolongement de ce raisonnement, il est aisé de comprendre que, dans l'autre cas de figure où les prix du pétrole viendraient à tomber de façon drastique, l'on soit obligé, pour juguler surtout le processus inflationniste, de retirer là encore la monnaie par excès en circulation. Et là, il est inutile d'en mesurer l'impact négatif et considérable sur le fonctionnement particulièrement du budget national. Intervient alors soit le blocage des émoluments de fonctionnaires et des dépenses publiques avec sa cohorte de problèmes sociaux insolubles et le marasme économique qu'il entraîne, soit la mise en coupe réglée du pouvoir d'achat. Telle situation très fâcheuse est connue de très près des Algériens, qui paient aujourd'hui leur pain 10 fois plus cher qu'il y a dix ou quinze ans.
Comme on le constate, il y a là une approche extrêmement sérieuse de la gestion des affaires publiques que les gouvernants algériens sont loin d’avoir à l’esprit, par manque sans doute de formation économique d’un côté, mais aussi, de l'autre, par manque de volonté manifeste de se consacrer avec sincérité, abnégation et conviction pour le bien commun. Et c'est à leurs turpitudes que le peuple algérien doit d’être aujourd’hui encore à la traîne dans le domaine du développement.