La Tribune.fr - 14.05.2011
par Thibault Lanxade
Deux ans après l'ouverture du marché des services de paiements, le "tout-virtuel" bouscule notre porte-monnaie et nous incite à de nouveaux comportements. Va-t-on vers une disparition du règlement en espèces ? La réponse de Thibault Lanxade, président de l'Association française des établissements de paiement (Afepa), président-directeur général d'Aqoba.
La transposition en France de la nouvelle directive européenne sur les services de paiements est intervenue le 15 juillet 2009. Après plusieurs années d'élaboration avec les 27 États membres de l'Union européenne, poussée par la France, cette directive permet à de nouveaux acteurs de proposer des services innovants dans l'univers des paiements tout en renforçant la protection des consommateurs. La fin d'un certain monopole des banques, un monolithe s'effondre, pour laisser place au « Sepa World », un monde de dématérialisation qui, après l'Internet, remet en cause nos habitudes et certitudes en matière de paiement.
Aujourd'hui en France, 10 établissements dont 3 sous conditions suspensives ont été agréés par l'Autorité de contrôle prudentiel. La France montre ainsi son dynamisme et sa créativité même si, dans une culture et un contexte différents, d'autres pays affichent plusieurs dizaines d'établissements de paiements (EP), plus de 80 en Angleterre, plus d'une dizaine en Belgique et autant au Luxembourg. Preuve est ainsi faite qu'un vent nouveau bouscule nos habitudes de paiements physiques, Internet et autres transferts d'argent, une dynamique souffle sur nos réflexes porte-monnaie.
Le "new deal" des services de paiement
Mais au fait, qu'est-ce qu'un établissement de paiement - une "banque light", diront certains - permettant d'offrir des services de paiements innovants avec des contraintes moins fortes que les banques, en termes de fonds propres et d'organisation tout en maintenant des exigences prudentielles adaptées ? Ces nouvelles entreprises peuvent être considérées comme des embarcations légères et véloces qui peuvent proposer des solutions innovantes et pointues à nos besoins quotidiens, étant alors en mesure d'accompagner l'ensemble des nouveaux business notamment dans le monde d'Internet mais aussi dans les réseaux de paiements traditionnels.
Acquisition de transactions Internet, émission de cartes de paiement virtuelles ou non, paiement sans contact, transfert et crédit P2P mobile, les établissements de paiement proposent ainsi de nouveaux modes de paiements "on line" ou "off line" passant (ou pas !) par les systèmes interbancaires historiques. Les idées ne manquent pas pour offrir aux consommateurs une multitude de solutions plus acérées, plus économiques et plus sécurisées que les solutions déjà existantes.
L'effervescence est manifeste et les initiatives sont nombreuses - très souvent créées par de jeunes entrepreneurs agiles qui se lancent dans cette aventure passionnante - au côté des grands acteurs institutionnels que sont les banques et qui doivent intégrer une certaine complémentarité dans leur stratégie B to C. Le paiement gagnerait-il ainsi le principe de convergence édicté par un certain "Pr J6M" (Jean-Marie Messier) ? Nul ne le sait encore mais la dématérialisation peut aller jusqu'à faire évoluer l'utilisation de nos moyens habituels de paiements, comme si notre porte-monnaie s'était transposé en une sorte de réflexe high-tech transformant nos désirs d'achat en réalité (non moins virtuelle). La dérégulation du marché des paiements porterait tout cela en son sein, remettant ainsi en cause les équilibres économiques jusqu'alors établis. L'heure est au « new deal » dans les services de paiements.
Le « Sepa World » dessinera certainement un monde où nos comportements d'achat seront totalement dématérialisés, c'est-à-dire portant à l'infini l'expérience utilisateur pour mieux faire coïncider paiement et service associé, pour lui donner davantage qu'une simple fonctionnalité, pour lui donner du sens. Le monolithe de Kubrick aura certainement à s'arrondir dans ce nouveau monde, tant le champ des possibles est immense, au bénéfice de nous, consommateurs. Dans ce monde, nos espèces trouveront à gagner en rentabilité, quand bien même elles s'effaceront au profit d'une monnaie toujours plus virtuelle, puisque c'est le sens de l'histoire.
Cette forte mobilisation constatée depuis deux ans dans l'univers des paiements où diverses initiatives ont vu le jour au côté des grands acteurs institutionnels doit permettre aux banques de réaliser que, bien souvent, ces nouvelles solutions ne sont pas contre leur business mais tout contre celui-ci. Après la téléphonie, l'énergie et le transport ferroviaire, un nouveau marché se dérégule - sera-t-il aussi dynamique et prometteur que les autres, cela ne fait aucun doute. Ces nouveaux établissements de paiement fraîchement agréés en Europe sont d'ores et déjà lancés dans une course contre la montre pour imposer leurs solutions alternatives et innovantes. Au moment où la ministre de l'Économie Christine Lagarde confie une mission de réflexion sur les moyens de paiement. L'État, les instances institutionnelles, le régulateur doivent faire leur maximum pour encourager et faciliter ces initiatives dans le strict respect des exigences prudentielles au bénéfice des consommateurs.
Le monde des paiements est aujourd'hui confronté à un nombre croissant de défis. La France, précurseur dans ce domaine au travers de son ingénierie monétique mais aussi de la fiabilité de ses cartes à puce, reconnue dans le monde entier, saura-t-elle démontrer sa capacité à tirer son épingle du jeu sur l'échiquier des 27 membres de l'UE ?
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/banque/20110514trib000621759/payer-en-espece-ce-sera-bientot-fini-.html