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 Portrait de Mitterrand en écrivain manqué

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Jean-Marc

Jean-Marc


Nombre de messages : 301
Date d'inscription : 13/07/2007

Portrait de Mitterrand en écrivain manqué Empty
MessageSujet: Portrait de Mitterrand en écrivain manqué   Portrait de Mitterrand en écrivain manqué EmptyMar 10 Mai - 20:32

À l'occasion du trentenaire de l'avènement de François Mitterrand au pouvoir, les médias français abondent ces derniers jours en articles les plus divers, en commentaires et autres souvenirs, tous plus ou moins truculents ou inédits, qui rappellent le souvenir du président qui a le plus longtemps tenu les rênes du pays sous la Vè République. Il avait régné durant deux septennats successifs. Or, pas même De Gaulle, d'envergure historique et mondiale autrement plus vaste, n'est parvenu à garder les commandes jusqu'au terme de son second mandat.
C'est ainsi que l'on découvre aussi au président socialiste des talents de grand écrivain qui "a raté sa vocation".
Le Nouvel Observateur consacre à ce sujet un intéressant article que voici.
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Le Nouvelobs.com - 10/05
par David Caviglioli

La chose paraît incroyable aujourd’hui: il y a trente ans, entrait à l’Élysée un grand amateur de littérature. A tel point qu'on le soupçonna d'être un écrivain rentré. Portrait d’un chef d’État comme on n’en fait plus.

François Mitterrand a raté sa vie. Il l’a admis sur le tard, un an avant sa mort. C’était une confidence de vieillard, faite à Elie Wiesel. Dans "Mémoires à deux voix", entretien publié en avril 1995 dans lequel il souhaitait « confier à l’écriture le soin d’ordonner sa vie », Wiesel lui demandait s’il n’avait jamais souhaité être un grand écrivain. Des années auparavant, Paul Guilbert lui avait déjà demandé s'il n'était pas, au fond, « un écrivain rentré ou un politique par dépit ». A Wiesel, il répondit: « Si j’avais eu une ambition, elle aurait été celle-là. » On apprenait que François Mitterrand était devenu monarque par manque d’ambition.

Comment expliquer un tel revers de fortune? Il avait tout pour réussir, lui qui avait grandi selon son propre aveu "dans un autre siècle", c’est-à-dire dans le Poitou-Charentes. Nourri à la lecture d’Horace et de Virgile, il découvrit "la NRF", « monde paradisiaque où le style était roi », grâce à un professeur de lycée. Il se passionna pour les grandes signatures de la droite d’avant-guerre – Montherlant, Bernanos, Claudel, Drieu. Il monta à Paris pour faire ses études, comme tous les littérateurs en devenir. Il tenta de rencontrer quelques écrivains, mais ils étaient plus difficiles à approcher que les loufiats maurrassiens de la Cagoule. Mitterrand ne parvint qu’à assister à quelques conférences de Valéry ou de Julien Benda (*).

« J’ai connu bien des camarades, racontera-t-il plus tard, qui avaient une sorte de génie pour, trois mois après leur arrivée à Paris, entrer dans l’intimité des écrivains qu’ils admiraient. Je n’avais pas ce don-là: trop de timidité, pas assez d’entregent. » Grands timides, gare à vous: vous finirez chefs d’État.

Ennuyeux académisme

Mitterrand fait un bref passage par la presse littéraire. En 1937, il signe un article dans la revue "Montalembert". Il y assure connaître le secret de la littérature, avec, comme l’écrivait Constant, « cette fatuité sans expérience qui se croit sûre du succès parce qu'elle n'a rien essayé ». Il écrit ainsi: « Le but d’une œuvre littéraire est d’exprimer le peu de la vérité de l’homme et du monde. » Ou encore: « La pensée, pour devenir œuvre, doit se réduire en mots, eux-mêmes coordonnés en phrases assouplies, nombrées et rythmées. »

François Mitterrand écrivait-il bien? Il répondit lui-même à la question: « Par son rythme, mon écriture est un peu provinciale, le style de gens pas pressés et formés par des études classiques, c’est-à-dire par la structure latine. Cela donne à la langue un mouvement un peu ample avec le risque permanent d’un ennuyeux académisme. Je dois m’en méfier, je le sais. »

Il fit cet aveu après la publication en 1978 de "l’Abeille et l’architecte", pour la rédaction duquel il avait tout de même fait preuve d’une indéniable minutie, retardant la remise du manuscrit d’un an pour en peaufiner le style. Cette modestie est une manœuvre politique. L'élection de 1981 approche. Mitterrand sait que sa base est dans l'avant-garde de gauche. Être l'ami de Duras ne suffit pas: il doit paraître désolé d'écrire comme un barrésien.

Mondanités littéraires

Lorsque Mitterrand entre à l’Élysée, l’intelligentsia littéraire l’y suit. Pas toujours avec bonheur. Paul Guimard, pour lequel le tout nouveau président a une grande admiration, ne reste conseiller culturel que quelques mois, décrivant cette période comme «un long accident». En 1986, Mitterrand accorde un entretien à son amie Marguerite Duras pour «l’Autre journal». Mais c’est l’époque où Duras part en vrille, où l’alcool lui fait dire des âneries sur l’affaire Grégory. Mitterrand refuse que leur dialogue soit publié.

Pendant ce temps, Jacques Attali, Roland Dumas, Hubert Védrine, Jack Lang ou Pierre Bergé entrent dans une sorte de compétition pour présenter des écrivains à Mitterrand. Plus de 200 littérateurs auront été reçus, notamment lors de déjeuners dans les salons privés de l’Élysée. Régis Debray raconte que, loin d'être des causeries de haut vol, ces repas (où l'on pouvait trouver Sagan, Blondin ou François-Marie Banier) dégénéraient souvent en "mondanités prétentieuses".

Le président se déplace aussi, parfois en hélicoptère, pour rendre visite aux auteurs qu’il admire. Régine Deforges raconte une entrevue avec Cioran:
« On était allés en hélicoptère déjeuner avec Cioran. Ca s’est très mal passé. Il tenait des propos inadmissibles sur la guerre. Tout le monde était très gêné. Comme il était très vieux, personne n’osait lui répondre. Je me souviendrai toujours de ce désarroi dans les yeux de François Mitterrand

Mitterrand prend alors soin de veiller sur les écrivains. Il garde toujours un œil sur les petites magouilles du milieu, appelant par exemple Erik Orsenna en 1988 pour lui annoncer que le Goncourt lui sera décerné dans la journée. Il aide les auteurs dans le dénuement. Henri Thomas, malade et sans ressources, put ainsi finir ses jours dans une maison de retraite parisienne grâce à lui. On raconte que la maréchaussée reçut l’ordre de ne plus interpeler Antoine Blondin, qui avait sombré dans un alcoolisme radical, malgré ses provocations d’ivrogne. Mitterrand avait pour eux une compassion admirative. Ils avaient tout sacrifié à la littérature. Même leur vocation de roi de France.

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(*): La plupart des anecdotes rapportées ici sont tirées de l'excellent dossier que l'Institut François Mitterrand avait consacré à cette question en 2006.

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