L'Express.fr - 3.05.2011
Propos recueillis par Christophe Barbier, Christian Makarian et Eric Mandonnet.
S'il ne se prononce pas sur son choix de se représenter ou pas en 2012, l'actuel chef de l'Etat assure que les Français auront le temps de faire leur choix.
Vous êtes en première ligne depuis 2002 : vous arrive-t-il de redouter que votre lien personnel avec les Français soit rompu?Il y a de la souffrance, à cause de la crise, et il est bien naturel qu'en tant que chef de l'État, les insatisfactions se tournent d'abord vers moi. Mais je dirige la France, qui préside le G 8 et le G 20: croyez-vous que j'ai le temps de me livrer à un exercice aussi narcissique ? Par ailleurs, si je doute beaucoup, je redoute assez peu. Je dois douter dans mon travail, puis surmonter mes doutes pour trouver des solutions.
Devant chaque problème, je m'efforce de trouver la bonne réponse. Se demander si une initiative va plaire ou déplaire, ce n'est pas l'idée que je me fais du rôle de chef de l'État. Devant la crise, les révolutions arabes, la réforme de l'Europe, j'ai un devoir d'État, celui de prendre et expliquer des décisions, je n'ai pas le loisir de penser à mon "lien personnel". Je suis en questionnement perpétuel sur ce que je fais, je ne m'interroge pas sur mon image. Je pense d'ailleurs depuis bien longtemps que la meilleure communication, ce sont les résultats et les faits.
Le programme de 2007 demeure-t-il votre référence?Oui, mais pas parce que c'était mon programme, parce que j'y croyais et que j'y crois encore : réhabilitation du travail, refus du partage du travail, rétablissement de l'autorité et de la sécurité, refus de l'assistanat... Évidemment, il y a eu la crise, qui a rendu les choses plus difficiles, mais j'ai tout fait pour mettre en œuvre mes engagements et, au total, je crois que, collectivement, nous y sommes parvenus pour une large part, grâce aux efforts des Français. Avec le Premier ministre François Fillon, nous n'avons reculé sur aucune des réformes difficiles : service minimum, autonomie des universités, retraites... Même en matière de pouvoir d'achat, au risque de vous surprendre, les résultats sont encourageants : la France est l'un des seuls pays du monde développé où, selon l'Insee, il a progressé pendant la crise, y compris dans la fonction publique, avec une hausse de 3,6 % en 2009 et de 2 % en 2010.
Vous aviez prévu en 2011 une pause législative et un audit des réformes : est-ce abandonné ?2011 doit être une année utile. Je l'ai promis, c'est mon devoir ! Avec la prime sur le partage de la valeur ajoutée, la réforme de l'ISF, celle des tribunaux correctionnels avec les jurys populaires, bientôt celle de la dépendance et le plan en faveur de l'emploi et du développement de l'apprentissage, ce sera le cas. "Pause" n'est synonyme ni d'immobilisme ni de préparation des prochaines échéances électorales, mais le Parlement doit à mon sens prendre du temps pour délégiférer, car il y a trop de lois, trop de normes, trop de règlements, qui achèvent de décourager l'initiative et la créativité dans notre pays.
Est-il important pour la France de garder l'un des siens à la tête du FMI ces prochaines années ?La France a proposé Dominique Strauss-Kahn parce que c'est un homme de qualité, pas seulement parce qu'il est français. Je me réjouis toujours de voir un Français à la tête d'institutions internationales. De même, j'ai proposé Mario Draghi pour la Banque centrale européenne parce qu'il est excellent, pas seulement parce qu'il est italien, même si nous nous sentons si proches de l'Italie.
Le deuxième procès Clearstream a commencé. Avant le premier, vous aviez dit : "J'ai le droit de savoir." Aujourd'hui, vous n'êtes plus partie civile : cela signifie-t-il que vous "savez" ?Oui. Voilà pourquoi je n'ai pas voulu faire appel. Je ne serai pas représenté à ce procès et ne ferai aucun commentaire sur celui-ci.
Votre candidature pour un second mandat est-elle "un secret de Polichinelle", comme l'a dit Alain Juppé?Je me réjouis tous les jours de travailler avec Alain Juppé comme ministre des Affaires étrangères... J'apprécie sa compétence et son sens de l'État. Je prends donc comme un compliment sa remarque.
Regrettez-vous de ne pas l'avoir nommé plus tôt?A quoi serviraient les regrets? Ce qui est sûr, c'est qu'il est un atout majeur pour la diplomatie française.
On peut donc croire ce qu'il dit sur 2012?
C'est un homme crédible qui dit des choses justes! Cependant, je suis le dernier à pouvoir exprimer quelque désir que ce soit quant à la prochaine élection présidentielle. Je suis président. J'exerce la fonction, j'ai donc un devoir que n'ont pas les autres. Cela s'appelle la servitude du pouvoir. Je n'ai pas le droit de me livrer à des calculs si loin d'une échéance qui n'est pas encore dans la tête des Français.
L'actualité vous incite-t-elle à repousser de la fin de l'année 2011, comme vous l'aviez dit, au début de 2012, l'annonce aux Français de votre éventuelle candidature?Il faudra laisser aux Français un temps suffisant pour faire leur choix. Dans les deux cas que vous évoquez, les Français auront le temps.
Si vous êtes candidat, serez-vous celui de l'UMP, présenté par l'UMP devant les Français?J'apprécie beaucoup le travail effectué par Jean-François Copé et l'aide de cette formation politique voulue par Jacques Chirac, qui fusionna enfin la droite et le centre, mais, en tant que président, je n'ai pas le droit d'inscrire mon action dans le cadre de l'UMP. Plus le temps passe, plus je me sens indépendant de mes amitiés, de mes fidélités, et serein face à l'adversité. Président de la République, cela s'apprend à chaque minute et, forcément, cela modifie la vision que l'on a des choses. C'est si difficile et si grave.
Êtes-vous un président "normal", pour reprendre le mot de François Hollande ?
C'est une fonction qui ne l'est pas. J'imagine que François Hollande a voulu être désagréable. C'est son droit. C'est le mien d'essayer d'élever le débat. Il y a tant de gens pour l'abaisser.