Le figaro.fr - 9.03.2011
Par Laure Marchand
Deux journalistes d'investigation ont été emprisonnés dimanche. Ils sont accusés d'avoir participé à un complot antigouvernemental.
Les incarcérations de Nedim Sener et d'Ahmet Sik sont-elles celles de trop? Connus pour avoir dénoncé les tentatives de coup d'État au sein de l'armée et leur plume antigouvernementale, ils ont été placés en détention dimanche pour «appartenance à une organisation terroriste». Accusés d'avoir participé à un complot pour chasser du pouvoir les islamo-conservateurs, ils rejoignent la cohorte de militaires, mafieux, hommes d'affaires ou journalistes actuellement emprisonnés dans le cadre des affaires «Ergenekon» et «Masse du forgeron». Leur arrestation suscite un tollé chez leurs confrères et les adversaires du Parti de la justice et du développement (AKP) en place, qui dénoncent la mise en place d'«une République de la peur». La confusion gagne également les Turcs qui, jusqu'à présent, soutenaient les procès en cours et s'alarment désormais d'une dérive de la justice.
Pris à partie, le Premier ministre a réfuté toute velléité de «bâillonner la presse». «Les inculpations de journalistes n'ont rien à voir avec le gouvernement», a déclaré mardi Recep Tayyip Erdogan, répétant qu'il fallait laisser la justice faire son travail. Dans un communiqué, le procureur qui a ordonné les mises en détention a assuré qu'elles étaient motivées par «des preuves» et non par leurs écrits. Mais les raisons de l'arrestation des deux journalistes, difficilement soupçonnables d'accointance avec les forces criminelles nichées dans l'appareil étatique, restent pour le moins obscures. Nedim Sener avait récemment publié un livre dans lequel il accuse la police de complicité dans l'assassinat du journaliste arménien Hrant Dink, en 2007. Ahmet Sik est un des journalistes qui ont révélé les plans fomentés par les militaires en 2003-2004 pour renverser Erdogan.
Pour leur comité de soutien, les deux hommes ont en commun de critiquer la puissante confrérie musulmane de Fetullah Gülen. Selon ses détracteurs, le mouvement contrôle désormais la police et est de plus en plus influent au sein de la justice. Alors qu'il était emmené par les policiers, Ahmet Sik a désigné la communauté religieuse: «Qui s'en approche trop s'y brûle.» Il s'apprêtait à publier une enquête consacrée à son infiltration dans les services de sécurité.
Chasse aux sorcières
Ce n'est pas la première fois que les adeptes de l'imam Gülen, installé aux États-Unis, sont accusés d'embastiller leurs opposants. Hanefi Avci, un ancien chef de la police, a publié l'été dernier un ouvrage dans lequel il dénonce le noyautage des forces de l'ordre par les gülenistes. Il est en prison depuis cet automne.
Même des intellectuels sympathisants de la cause de Fetullah Gülen se préoccupent de la tournure prise par les événements, tel Mustafa Akyol qui craint un «risque de maccarthysme». La suspicion a gagné le palais présidentiel de Cankaya. Ainsi, un proche d'Abdullah Gül, le chef de l'État, est persuadé que la confrérie a ordonné les arrestations et qu'elle est devenue incontrôlable.