MOSCOU, 25 août - Anatoli Korolev, RIA Novosti. Un cursus spécialisé pour la jeunesse tsigane s'ouvre en septembre à l'école de théâtre Chtchoukine, à Moscou.
Le projet est initié par l'acteur, metteur en scène et chanteur Nikolaï Slitchenko qui est également directeur artistique du théâtre Romen, l'unique théâtre tsigane au monde.
Cette initiative s'explique aussi bien par l'état désolant de la troupe, qui a presque cessé de se renouveler, que par le souci de relever le niveau général de la culture tsigane dans la Russie contemporaine.
Personne ne sait exactement quand les premiers Tsiganes sont apparus en Russie, mais on sait que les Russes les ont plutôt accueillis avec bienveillance et curiosité. Le tempérament passionné des Tsiganes a séduit l'âme nordique des Russes. Mélomane, le comte Orlov de Tchesma créa dans son domaine, il y a 227 ans, un premier chœur de tsiganes dirigé par Ivan Sokolov. Les Tsiganes interprétaient des chansons populaires avec tellement de passion et de beauté qu'ils ont vite acquis une grande popularité.
Pouchkine fut le premier à lancer la mode des Tsiganes dans les milieux cultivés. Son poème génial "Les Tsiganes" évoque un esprit de liberté étranger à la mentalité du peuple russe. Après Pouchkine, les Tsiganes faisaient partie intégrante de la Russie.
La grandeur de la culture tsigane réside dans l'interprétation. Personne n'exécutera mieux que les Tsiganes une danse du ventre en Turquie, un flamenco en Espagne ou une romance en Russie. Les chansons dites tsiganes se basent en effet sur des mélodies russes. Même si une romance est chantée en tsigane, la musique est celle d'Aliabiev, Varlamov ou Gourilev.
À l'inverse, l'interprétation tragique a fait des mélodies russes une partie intégrante de l'univers tsigane, univers d'un vieux peuple nomade de mages et de cavaliers. Hélas, la sagesse des Tsiganes revêt une nature orale et spontanée. Ils ne disposent pas d'une écriture qui leur est propre au sens strict du terme, et utilisent essentiellement celle des peuples dans lesquels ils se sont intégrés. Leur Bible n'est pas encore écrite, mis à part un excellent recueil de contes.
La création en janvier 1931 d'un Théâtre-studio indo-roman fut l'une des rares décisions heureuses des autorités soviétiques. La démarche était censée être politique mais - paradoxe! - les "barbares" étaient placés sous la tutelle des "aristocrates" du théâtre russe, comme Vassili Katchalov, Ivan Moskvine et Alla Tarassova, alors que le chouchou de Staline, Alexeï Khmelev, a choisi pour compagne la grande actrice tsigane, Lialia Tchernaïa. Mais c'est Mikhaïl Ianchine qui joua le rôle décisif en engageant les novices dans son adaptation des pièces de l'Espagnol Garcia Lorca, "Noces de sang" et "La Savetière prodigieuse".
Un miracle s'est produit: les Tsiganes ont assimilé le "système" de Stanislavski, sa méthode de la représentation et de l'émotion, en manifestant une vie scénique cohérente. Un théâtre original est ainsi apparu dans l'une des capitales théâtrales du monde.
Aujourd'hui, le théâtre Romen traverse une crise. Il n'est plus à la mode, et sa troupe n'est plus renouvelée.
Lors d'une conférence de presse, Nikolaï Slitchenko se souvient avec amertume d'une histoire: un des principaux acteurs de sa troupe l'a averti qu'il ne pourrait assister le lendemain à la répétition générale parce qu'il n'avait pas de quoi acheter un ticket de métro.
Toutefois, des premiers pas ont été faits vers la renaissance du théâtre qui vient d'engager une vingtaine d'étudiants. Ces démarches caractérisent les changements généraux qui s'opèrent dans la vie des Tsiganes russes. Une fondation pour le soutien et la promotion de la culture tsigane fonctionne depuis quelques années auprès du président russe. La Russie dénombre 180 000 Tsiganes, d'après le recensement de 2002, mais eux-mêmes affirment qu'ils sont plus d'un million. Les sondages du centre Vtsiom démontrent que l'attitude des Russes est quatre fois meilleure à l'égard des Tsiganes que vis-à-vis des Tchétchènes, même si les premiers se sentent exclus. Tout le monde n'aime pas l'insouciance et l'impertinence du mode de vie de ce peuple semi-nomade.
Les Tsiganes ont enfin leur drapeau: un bicolore bleu-vert avec au milieu une roue rouge à huit rayons qui représente à la fois le voyage et le chakra hindouiste, symbole du soleil.
La petite Finlande qui abrite une importante minorité tsigane sert de modèle à tous les pays. Elle applique une règle: si au moins deux ou trois enfants tsiganes fréquentent une école, celle-ci doit nécessairement dispenser dans leur langue maternelle, au moins plusieurs cours par semaine.
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