TSA - Youcef Zirem - 20.11.2010
Critique au Figaro littéraire, Mohamed Aissaoui vient de recevoir le Prix Renaudot de l’essai pour son livre sur l’esclave Furcy. Avec des mots justes et clairvoyants, ce journaliste algérien a réussi à donner une seconde vie au parcours impressionnant de cet esclave. Ainsi, à trente et un ans, l’homme opprimé décide un jour d’automne 1817 dans l’île de la Réunion, de se rendre au tribunal d’instance de Saint-Denis, pour exiger sa liberté. Dans sa main, il porte la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais c’est un combat presque sans issue qui attend le jeune homme avide de liberté.
« Le soleil clément ajoutait à la douceur du monde. Furcy aimait tout particulièrement ces instants paisibles et libres, quand la forêt appelait au silence. Pas un bruit… Juste, au loin, la musique d’une rivière. Le calme fut rompu par le pépiement effrayé d’une nuée d’oiseaux qui s’envolèrent d’un trait », écrit Mohamed Aissaoui pour planter le décor d’une histoire palpitante. Le procès de l’esclave Furcy dure vingt sept ans. De rebondissement en rebondissement, il trouve son épilogue, le samedi 23 décembre 1843, à Paris.
La vie dans l’île de la Réunion était difficile en ces temps-là où les esclaves subissaient toutes les injustices du monde. Mohamed Aissaoui raconte admirablement cette période difficile de l’histoire de l’humanité pour nous aider à répondre à certaines interrogations qui ne cessent de nous tarauder l’esprit jusqu’à l’époque contemporaine où d’autres fléaux continuent d’exister ici et là.
« Au moment où l’esclave allait mettre un pied dans l’eau, il trébucha. Un chien sauta sur lui et mordit sa cuisse droite, tétanisant tous les muscles de son corps. Le deuxième chien le prit à la gorge alors qu’il se débattait. On entendit un cri lourd. Au loin, les deux blancs sourirent. Ils ralentirent le pas, comme pour apprécier davantage le malheur de leur proie et laisser les chiens terminer leur besogne. Le noir qui les accompagnait baissa la tête.
« Furcy, aussi, avait entendu le cri. Il se trouvait de l’autre côté de la Rivière-des-Pluies. Dissimulé derrière un pied de litchi, il avait tout vu. Il restait figé. Depuis sa cachette, il avait remarqué une fleur de lis tatouée sur chaque épaule du fuyard allongé, ses oreilles et son jarret étaient coupés. Ces deux mutilations signifiaient qu’il avait déjà tenté de fuir à deux reprises. Quand les deux hommes arrivèrent près de l’esclave agonisant, ils marquèrent un temps, se regardèrent, puis le prirent chacun d’un côté. Ils le jetèrent dans la rivière. Et s’essuyèrent les mains. Le corps moribond flottait comme un bout de bois au gré du courant qui était fort ce jour-là », écrit Mohamed Aissaoui dans un récit où l’émotion est à chaque page de cette histoire bouleversante. C’était pourtant le début du 19ème siècle ; une période où les Lumières avaient déjà réduit à néant tant d’horreurs que la bêtise et la méchanceté des hommes ne cessent de réinventer au gré des jours qui s’enfuient.