Laurent Joffrin, directeur du journal Libération livre un éditorial publié ce matin qui met en exergue l'irresponsabilité des électeurs ayant souvent tendance à ne pas savoir discerner leur véritable intérêt face à un magma de mensonges ou de contre-vérités trop souvent exploitées à dessein par les extrémismes pour atteindre leurs objectifs.
Il semble surtout mettre en garde ses propres compatriotes contre une tentation semblable qui leur pèse cher aujourd'hui après avoir, en 2007, investi aveuglément Sarkozy à la tête de l'État, une erreur qui risque de se renouveler en 2012.
En fait, les arguments développés par les extrémismes de tous bords ont toujours trouvé un terreau exploitable à leur convenance. Sans quoi, le monde n'aurait jamais vécu les drames incommensurables nés du communisme, de l'hitlérisme et du fascisme. Et un extrémiste aussi sanguinaire et irresponsable que Bush n'aurait jamais réussi autrement à duper des dizaines de millions d'électeurs américains qui, par deux fois, lui avaient accordé leur confiance.
Voici donc l'éditorial de Joffrin qui a, me semble-t-il, toute sa place ici.
*******************************************************************************
Anti-Etat
Par Laurent Joffrin, directeur de Libération
Il y a une injustice cruelle dans le vote des Américains. Pour avoir hérité d’une situation cataclysmique, Barack Obama doit concéder une défaite cinglante face à ceux qui ont créé le cataclysme. La politique dogmatique des républicains, dictée par Wall Street, a déclenché une crise économique qui a failli égaler celle de 1929. Parce qu’il a tenté de sauver les meubles, parce qu’il a pris les mesures d’urgence qui s’imposaient et parce que ces mesures n’ont pas eu le temps de produire leurs effets, Barack Obama est sanctionné. On dira qu’il n’a pas su mobiliser ses électeurs, qu’il s’est englué dans des compromis washingtoniens, qu’il a perdu sa force d’entraînement. Certes. Mais on débouche sur cet amer paradoxe : ceux qui lui reprochent de n’avoir pas gouverné assez à gauche ont assuré, en s’abstenant, la victoire de la droite la plus extrême.
Cette mésaventure - qu’on espère provisoire - doit faire réfléchir toutes les gauches. Le scrutin révèle la force dangereuse et imprévisible de l’individualisme populaire. L’Etat fédéral a évité le pire en intervenant vigoureusement pour prévenir une dépression économique : il a prêté du même coup le flanc à la méfiance antiétatique si profondément ancrée dans la conscience du peuple américain. L’Etat se porte au secours des individus. Mais les individus n’aiment pas leur sauveur. La leçon vaut bien au-delà des Etats-Unis.