L'assassinat d'Abane

Un ouvrage, récemment publié, de K. Mameri, donne désormais beaucoup de lumière sur l’assassinat prémédité d’Abane, par un quarteron de cinq colonels de ce qui fut l’état-major de l'ALN installé à Tunis.


A en croire le testament d’Ouamrane, inséré en sa forme originale dans ce livre, cinq colonels avaient donc décidé, d’un commun accord, de l’élimination physique de notre célèbre héros. Aux côtés de Krim, apparemment initiateur et maître du projet, vu son rang alors le plus élevé du groupe dans la hiérarchie politique, Chérif Mahmoud, Abdelhafid Boussouf, Lakhdar Bentobbal et Ouamrane lui-même s’étaient donc concertés (inutile d’employer le conditionnel, les aveux étant trop nets pour courir le risque d’un démenti) de vive voix pour procéder à l’exécution d’Abane, avec un incroyable sang-froid et une froideur dignes d’une bande organisée de la mafia ritale des années 30, en l’attirant sournoisement et traîtreusement dans un guet-apens qu’un film ferait bien de ressusciter pour l’histoire et l’éducation des générations montantes. Le traquenard ainsi monté et les circonstances précises de l'exécution, telles que rapportés en détail par le testateur, gagneraient à être lus dans l'ouvrage lui-même portant titre, si je ne m'abuse, de "faux procès..." qu'avaient, au départ, inspiré à l'auteur les réactions aussi épidermiques qu'insensées des Kafi, Mahsas et Ben bella qui ont, aujourd'hui encore, le culot de s'improviser comme censeurs du regretté disparu.


S’il peut encore se trouver quelques douteuses et superficielles circonstances atténuantes à l’endroit de Chérif Mahmoud, Bentobbal et Boussouf pour qui Abane faisait effectivement de l’ombre, d’autant qu’il était loin de partager leurs méthodes et conceptions d’inspiration médiévale de la lutte pour la libération du pays, la trahison de Krim et d’Ouamrane, ses propres compagnons issus du même terroir, réunit à coup sûr tous les éléments d’une condamnation sans appel qui interpelle en même temps les consciences pour exiger déjà, sauf à juger et pendre sur la place publique le dernier d’entre eux encore vivant, Bentobbal, de débaptiser toute rue, village ou infrastructure quelconque portant éventuellement le nom de l’un ou l’autre de ces criminels désormais frappés, cela va de soi, d’indignité nationale.

La dérive de notre pays, née à partir de ce crime innommable et impardonnable, trouve d’ailleurs tout son sens dans le mot prémonitoire, resté célèbre, du colonel Lotfi* "Notre pays va échouer entre les mains des colonels, autant dire des analphabètes. J’ai observé chez le plus grand nombre d’entre eux, une tendance aux méthodes fascistes. Ils rêvent d’être des sultans au pouvoir absolu. Derrière leurs querelles, j’aperçois un grave danger pour l’Algérie indépendante. Ils n’ont aucune notion de la démocratie, de la liberté, de l’égalité entre les citoyens. Ils conserveront du commandement qu’ils exercent le goût du pouvoir et de l’autoritarisme. Que deviendra l’Algérie entre leurs mains? ".

(*) Cité par Abbas, dans l'autopsie d'une guerre, page 264

J'ai lu ce livre, que j'ai pu acheter à la rue Charras, au prix de 350 DA. Il a été édité à Tizi, mais apparemment sous un faible tirage, puisque nombreuses sont les librairies où son absence se remarque à l'étalage. Très facile à lire, peu volumineux (il fait quelques 160 pages seulement), il contient effectivement nombre de détails, glanés ici ou là par l'auteur, dont l'objectif semble surtout viser la réhabilitation du héros qu'une bordée d'insinuations aussi malveillantes que déplacées tente de salir. L'auteur le note bien qui analyse les approches malfaisantes, dictées sans doute par la jalousie, qu'il est donné de lire dans les déclarations écrites ou verbales d'hommes de paille comme Kafi, Mahsas ou Benbella.

Le livre a vraiment le mérite d'exister et constitue la gifle la plus cinglante que méritent les détracteurs de notre héros national. Quoiqu'ils fassent, en vérité, ces derniers n'auront pas autant marqué l'histoire comme l'a fait de son vivant le supplicié, que le FLN a de plus eu, en son temps, le front de maquiller en combattant mort héroïquement au champ d'honneur.

L'histoire, il est vrai, est faite de hauts et de bas, où se reconnaissent les plus faibles qui doivent toujours, ne leur en déplaise, s'effacer devant la dimension inégalable d'hommes d'exception que le monde enfante rarement de temps à autre.

Et voilà une nouvelle qui va bouleverser l'ordre des choses ! Si Krim a trempé dans ce crime abominable, il faudra sans doute corriger l'approche de l'histoire. Il circulait tant de thèses jusqu'ici, comme, par exemple, que les USA auraient été derrière cet assassinat au nom de la lutte contre le communisme qu'Abane semblait incarner à leurs yeux, ou encore que ce dernier aurait été victime d'une simple lutte de clans internes au GPRA.
Finalement, tout ça n'est que du vent, le malheureux ayant été abattu par ses propres compagnons... Quel dommage ! Quelle tristesse !

Oh, là là là ! Quels TRAITRES ! quels CRIMINELS que ces enfoirés de colonels de pacotille ! QUE LEUR AME SOIT DAMNEE POUR L'ETERNITE... Cela donne la nausée. Merci Aomar de nous avoir éclairés.

Le vase aurait débordé du jour où, sur proposition de Krim de réunir une conférence de presse pour répondre à une prise de position française négative sur la question algérienne, Abane avait eu cette réplique malheureuse et regrettable qui lui serait sans doute fatale :
« Tu comptes les entretenir dans quelle langue, arabe, française ou kabyle ? Que je sache, ayaghyul ! (ô bourricot !) tu ne connais rien de l’arabe ; tu maîtrises mal le français ; faudra-t-il que tu leur parles en kabyle ? »

Abane n’en était pas, hélas ! à sa première injure publique proférée à l’endroit de Krim. Ainsi rabaissé une fois de plus et de trop à un tel niveau, ce dernier finit par se résoudre à réagir en cédant aux instances qui, par ailleurs, s’exerçaient déjà sur lui pour l’impliquer, en première étape, dans la mise à l’écart du stratège de la Soummam.

C’est justement à cause de son éviction du premier cercle dirigeant de la Révolution, intervenue juste après, que Ramdane s’est rendu si vulnérable au point de permettre à ce quarteron que j'appellerai de truands de concocter sa mise à mort en toute illégalité comme en toute impunité.

Abordant la réaction de Ferhat Abbas, à la révélation de cet assassinat, Mameri a décrit (moi aussi, j'ai eu le bouquin en main il y a quelques jours seulement, grâce à un ami) par le menu l’état de consternation qui fut celui du premier président du GPRA, semblant découvrir tout à coup son appartenance à une bande organisée de véritables mafiosi qui présidaient réellement, à partir de Tunis, aux destinées de l’Algérie combattante.

A dire vrai, la mort d’Abane n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, quand on sait de quelle manière sanguinaire et expéditive les combattants eux-mêmes de l’intérieur avaient délibérément procédé à l’élimination physique et, hélas ! trop souvent barbare d’un nombre inouï d’innocents, sur la foi de simples soupçons d’indicateurs zélés ou intéressés sinon de prostituées tous devenus aujourd'hui des moudjahidin, appointés de plus au budget de l’Etat. Journal, de Feraoun, est assez révélateur de ces crimes abominables qui émaillent l’ouvrage de bout en bout.

S’étonner des dérives du pouvoir en place aujourd’hui, résultat logique de ces errements restés depuis impunis et, plus gravement encore, cultivés avec une espèce de flagornerie étouffante, ne traduit donc que notre simple aveuglement à toujours privilégier le mensonge sur la vérité.

Abbane, quoiqu’en pensent ses détracteurs, restera toujours l’une des principales figures emblématiques de la révolution. Il aura marqué l’Algérie d’une empreinte indélébile que les générations montantes, ou à venir, ne manqueront certainement pas de saluer et d’honorer, tout en rejetant dans les oubliettes de l’histoire les révolutionnaires de salon et autres braillards marginaux qui auraient mieux fait de se taire pour se faire oublier. Benbella ou Mahsas, Kafi ou Bentobbal c’est du kif au même : rien dans le cerveau, rien dans le ventre, du vent et seulement du vent.

A propos, est-il exact que Khalfa Mameri, l'auteur de ce livre, ait, tout récemment encore, changé son fusil d'épaule ? On le dit désormais inscrit dans les rangs de l'UDR, le parti de Benyounès, après avoir vivement claqué la porte du RCD, à la suite, dit-on, d'une vague histoire de demande d'inscription insatisfaite sur les listes de candidatures aux législatives.

Si je ne me trompe, c'est bien le même homme qui avait déjà quitté le RCD, il y a un temps, à cause de la mésentente qui présidait à ses relations avec le même Benyounès occupant à l'époque la vice-présidence de ce parti.

Comment peut-on, je me le demande, souscrire à un programme d'un parti, puis le dénoncer, ensuite revenir sur sa décision, et enfin repartir avec autant d'aisance que de légéreté, sans, pour le moins, prendre l'avis de ses camarades les plus proches, sans réfléchir suffisamment aux conséquences regrettables de son geste, sans mesurer l'impact nécessairement négatif qu'un tel va et vient ne manquera pas d'empreindre sur les destinées de ce qui fut son propre parti ?

C'est vraiment déplorable, venant de la part d'un cadre de cette dimension. On le dit ancien ambassadeur et ancien conseiller de premier ministre. Je n'y comprends rien, vraiment.