La découverte, par une compagnie américaine, de quelques 450 milliards de m3 de gaz enfouis dans les profondeurs abyssales, au large d'Israël, de Chypre et du Liban, avive les craintes d'affrontements entre ces trois pays, chacun revendiquant sa propriété des gisements. Mais, Israël, imbu de sa force et de sa puissance militaires, veut, au mépris du droit et des conventions internationales, tout s'approprier apparemment, au besoin par les armes, laisse-t-il entendre.
Rue89 consacre à cette affaire un article fort intéressant que j'insère intégralement ainsi qu'il suit :
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Israël-Liban : du gaz dans la Méditerranée relance les tensions
Par Anne Ilcinkas | 25/08/2010
(De Beyrouth) L'Est de la Méditerranée renfermerait d'énormes quantités de pétrole et de gaz. Problème : les eaux ne sont pas clairement délimitées, et trois pays, le Liban, Israël et Chypre, revendiquent leur souveraineté sur la totalité des réserves, ou au moins sur une part du gâteau. Que dit le droit international ?
L'annonce faite par la compagnie américaine Nobel Energy sur la présence de 453 milliards m3 de gaz au large d'Israël a suscité de vives craintes et menaces dans la région, chaque partie entendant faire respecter sa souveraineté et ne pas se faire spolier par le voisin.
Problèmes de délimitation des eaux territoriales
Le président du Parlement libanais Nabih Berri a mis en garde contre un monopole israélien des réserves dans l'Est de la Méditerranée, en déclarant : « Le Liban devait immédiatement prendre des mesures pour défendre ses droits non seulement financiers, mais également économiques, politiques et souverains. »
Le Parlement a d'ailleurs adopté le 18 août une loi autorisant l'exploitation off-shore de réserves de pétrole et de gaz.
De son coté, le ministre israélien des Infrastructures nationales, Uzi Landau, a prévenu qu'« Israël n'hésitera pas à user de la force, non pas pour défendre ses droits, mais pour défendre le droit maritime international » en soulignant que les champs gaziers découverts se situent dans les eaux israéliennes.
Chypre pourrait aussi faire valoir ses droits et profiter de la manne pétrolière et gazière.
Mais avant d'exploiter ces ressources naturelles, le problème de délimitation des eaux territoriales doit être résolu. Que nous dit le droit international ?
Les textes applicables
Le droit de la mer est ancien. Il est donc essentiellement coutumier. Il a été codifié par les quatre Conventions de Genève de 1958. Puis redéfini et complété par la Convention de Montego Bay (Jamaïque) signée en 1982. Elle définit les zones de l'espace marin et détermine leurs usages militaires et civils. Elle est une tentative inégalée de réguler l'utilisation des ressources et de l'espace maritime.
Le régime juridique des espaces maritimes varie selon les zones. Plus on s'éloigne des côtes, moins l'influence de l'Etat se fait sentir et plus le principe de liberté reprend ses droits.
Le Liban et Chypre ont ratifié la Convention, pas Israël. Malgré tout, l'Etat hébreu se trouve lié par la plupart des dispositions émanant de la Convention dans la mesure où le texte a repris des règles relevant du droit coutumier et ayant valeur universelle.
En cas de litige, Israël pourrait donc se voir contraint à respecter le droit maritime international.
Ce que prévoit la Convention de Montego Bay
La mer est divisée en zones sur lesquelles différentes souverainetés s'appliquent :
* Les eaux intérieures (du territoire terrestre aux lignes de bases) : il s'agit des eaux incluses entre le rivage et la ligne de base à partir de laquelle est mesurée la largeur de la mer territoriale. La souveraineté de l'Etat y est totale.
* La mer territoriale (des lignes de base jusqu'à 12 miles au maximum) : l'Etat exerce sa souveraineté sur les eaux territoriales sur la nappe d'eau, mais aussi sur le fond et le sous-sol ainsi que sur l'espace aérien au dessus. Les navires étrangers, qu'il s'agisse de navires de commerce ou de navires de guerre, ont un droit de passage inoffensif dans la mer territoriale.
* La Zone Economique Exclusive (ZEE) : la zone économique exclusive est d'une largeur maximale de 200 miles (370 km) au-delà des lignes de base. L'État côtier dispose de « droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol ».
* La Haute mer (espace maritime international). : elle commence au-delà de la limite extérieure de la ZEE et représente 64% de la surface des océans. Le principe de la liberté y prévaut : liberté de navigation, de survol, de la pêche, de la recherche scientifique, de poser des câbles et des pipe-lines, de construire des îles artificielles.
La situation à l'Est de la Méditerranée
Alors que les pays riverains ont généralement porté leur mer territoriale à 12 miles marins (40 km au large des côtes), ils n'ont pas ressenti le besoin de s'attribuer une zone économique exclusive en Méditerranée.
En effet, la mer Méditerranée étant étroite et fermée, les Etats riverains doivent négocier et s'entendre sur la superficie de leurs ZEE. La délimitation de la ZEE doit faire l'objet d'une déclaration unilatérale de l'Etat concerné si la seule limite est avec la haute mer, ou d'un accord entre les pays voisins auprès de l'ONU.
Dans la Méditerranée, les 33 frontières maritimes doivent faire l'objet de négociations. Jusqu'à présent, aucun des trois pays concernés, Israël, le Liban et Chypre, n'a revendiqué de ZEE. Aucun d'entre eux n'est donc légalement autorisé à exploiter le sous sol marin en dehors de ses eaux territoriales (40 km).
Or les réserves découvertes récemment sont situées à 90 km (nappe de pétrole « Tamar ») pour l'une et 130 km (champ gazier « Leviathan ») pour l'autre des côtes israéliennes, donc à l'extérieur des eaux territoriales de l'Etat hébreu.
Des tuyaux d'extraction de gaz près de Montreux, en Suisse, en mai 2010 (Denis Balibouse/Reuters). Parce qu'Israël n'a pas déclaré de ZEE, Chypre a demandé il y a quelques mois au ministre israélien des Affaires étrangères des précisions sur les découvertes pétrolières au large de leurs côtes. Les deux pays ont entamé des négociations sur la délimitation de leurs frontières maritimes.
Aujourd'hui, c'est le Liban qui revendique ses droits. Et comme les deux voisins sont encore techniquement en état de guerre et qu'ils n'entretiennent aucune relation diplomatique, la négociation entre eux sur la délimitation de leur ZEE respective s'avère quasiment impossible.
Le ministre libanais de l'Energie et des Eaux a déjà pris les devants en indiquant que le Liban travaillait de manière unilatérale sur le tracé des frontières maritimes avec Israël, avant d'en soumettre les résultats au Conseil de sécurité de l'ONU pour approbation. Par contre des discussions sont en cours - ou vont être ouvertes prochainement - avec Chypre et la Syrie. Ainsi, une sorte de course est engagée pour établir le premier sa souveraineté sur les eaux méditerranéennes.
L'affaire pourrait se terminer en dernier lieu devant les tribunaux internationaux. En cas de litiges, la Convention de Montego Bay prévoit plusieurs voies différentes, dont le choix est laissé aux Etats : le Tribunal international du droit de la mer, la Cour internationale de Justice, l'arbitrage.
Cette affaire vient nous rappeler qu'en géographie, la frontière est le produit d'un équilibre entre des Etats qui exercent des pressions politiques, et n'a rien de naturel.