Décidément, rien n'arrête les capitalistes, pas même le danger mortel que font courir parfois leurs affaires sur la santé des populations.
Chacun sait, en effet, que l'amiante est devenu un matériau quasiment interdit d'existence à travers le monde, à cause du cancer qu'il génère sur toute personne venant simplement à respirer ses poussières. Des ouvrages de grande valeur, comme les lycées et collèges, des bâtiments publics et même des navires qui en contiennent ont été carrément détruits ici ou là pour mettre un terme au risque de dangerosité qui lui est liée.
Mais, au Québec les exploitants d'une ancienne mine, fermée depuis un an pour cause de faillite, s'échinent, en alléchant une population au chômage, à rechercher des financements pour la rouvrir et vendre ensuite leur poison dans des pays du sud, tels que l'Inde, le Vietnam, la Thaïlande.
C'est le sens du moins d'un article d'une envoyée spéciale du journal Le Monde qui vient d'être mis en ligne.
Certes, des associations tentent de se mettre en travers du projet en cause, en faisant valoir les dégâts que l'amiante a déjà causés à l'humanité avec ses 90 000 décès annuels dans le monde. D'autres, en revanche, le soutiennent pour donner du travail à 450 travailleurs. "La mine Jeffrey, c'est le gagne-pain de la ville depuis 130 ans", renchérit un responsable de l'une de ces dernières.
Pourtant, les spécialistes connaissent bien les risques à faire courir aux pays utilisateurs : "Il n'est pas possible de travailler en toute sécurité avec de l'amiante, en particulier dans les pays en voie de développement où les contrôles sont faibles", note un groupe d'universitaires dans un article consacré à la question, rapporte la correspondante du journal.
Voici l'article intégralement copié de ce dernier.
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Reportage
Une mine d'amiante pourrait rouvrir au Québec
LEMONDE | 16.07.10
Asbestos (Québec) Envoyée spéciale
La petite ville minière d'Asbestos, au Québec, peut difficilement échapper à son histoire. Son nom en anglais signifie amiante. Mais ici, l'exploitation de la fibre blanche, bannie dans une trentaine de pays, n'est pas qu'histoire du passé. Asbestos veut bâtir son avenir en extrayant à nouveau le minerai de son sol. Le projet est loin de faire l'unanimité.
Depuis quelques semaines, il ne se passe pas une journée sans qu'une association de médecins ou de scientifiques s'oppose à la réouverture de la mine Jeffrey, du nom de la société qui l'exploite.
S'appuyant notamment sur les données de l'Organisation mondiale de la santé, qui estime que l'amiante est responsable de 90 000 décès par an à travers le monde, la Société canadienne du cancer et les associations médicales du pays demandent au gouvernement du Québec de ne pas accorder à la compagnie minière une garantie de prêt de 58 millions dollars (43 millions d'euros) qui lui permettrait de rouvrir ses portes pour exploiter un gisement souterrain.
Les supporters du projet, eux, soutiennent que le chrysotile qui serait tiré du sol d'Asbestos est la moins dangereuse des fibres d'amiante et qu'il est possible de la manipuler en toute sécurité.
"Nous ne disons pas qu'il n'y a pas de risque, mais qu'il est moindre qu'avec les autres fibres d'amiante, comme l'amphibole", affirme Serge Boislard, le président du Mouvement prochrysotile qui presse le gouvernement du Québec de donner son feu vert au projet.
M. Boislard ne cache pas qu'il est directement concerné. Travailleur de l'amiante depuis quarante-deux ans et conseiller municipal à Asbestos, il sera parmi les 450 personnes embauchées par la compagnie minière. "La mine Jeffrey, c'est le gagne-pain de la ville depuis 130 ans", s'enorgueillit-il, en tournant son regard vers l'immense mine à ciel ouvert aux abords de laquelle la petite municipalité a été construite et maintes fois reconstruite pour s'adapter à l'expansion du champ d'exploitation.
Dans un des rares restaurants de cette ville de quelque 6 900 âmes, on note que la fermeture de la mine en 2009, après sa mise en faillite, a été un coup dur pour l'économie locale. "C'est un projet controversé, mais on espère tous que la mine va rouvrir. La vie est difficile ici depuis l'an dernier", dit une serveuse du bistrot Le Fou du roi. Et les risques pour la santé ? La jeune femme dans la vingtaine hausse les épaules. "Mes grands-parents ont vécu à Asbestos toute leur vie et ils ont eu une longue vie", défend-elle.
Cette nonchalance résiste mal à la réalité. Au Québec, l'amiante est responsable de 55 % des décès liés à des maladies professionnelles. Selon des données compilées par l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), de 1988 à 2003, 198 travailleurs ont reçu un diagnostic d'amiantose, 262 autres ont eu un cancer lié à l'amiante. "Ce que nous pouvons observer, c'est qu'il y a encore des expositions aux poussières d'amiante dans les mines du Québec supérieures aux normes admises. Nous constatons aussi qu'il y a toujours des malades de l'amiante", estime le docteur Louise De Guire, de l'INSPQ.
Les médecins ne s'inquiètent pas seulement pour les conséquences de cette industrie au Canada, un des seuls pays occidentaux à toujours extraire l'amiante. Ils alertent aussi sur les dangers que cela fait peser dans les pays en développement où la fibre sera exportée dans sa quasi-totalité. Tout comme une autre mine d'amiante déjà en opération à Thetford Mines (Québec), la mine Jeffrey devrait écouler sa production notamment vers l'Inde, la Thaïlande et le Vietnam.
"Utilisation sécurisée"
Dans un article publié début juillet, le Collegium Ramazzini, un groupe d'universitaires indépendants en matière de santé professionnelle et environnementale, a condamné cette pratique. "Il n'est pas possible de travailler en toute sécurité avec de l'amiante, en particulier dans les pays en voie de développement où les contrôles sont faibles", affirme Philip Landrigan, qui dirige le collège.
Ce dernier enjoint lui aussi le premier ministre du Québec, Jean Charest, de rejeter la demande de garantie de prêt de la mine Jeffrey. Courtisé à la fois par les détracteurs et les défenseurs de l'amiante, le gouvernement du Québec étudie ces jours-ci s'il contribuera financièrement à la relance d'une industrie en perte de vitesse. Sur la base d'un rapport d'experts indépendants, il examine la rentabilité potentielle du projet et demande d'ores et déjà à la compagnie minière de démontrer que ses clients respecteront toutes les règles de sécurité dans l'utilisation de l'amiante.
"Il y a des opinions différentes, mais le gouvernement du Québec défend une utilisation sécurisée du chrysotile et nous avons, à Asbestos, une entreprise qui peut employer 450 personnes dans une ville qui en a grand besoin", a expliqué la présidente du conseil du Trésor, Monique Gagnon-Tremblay. Reste à voir ce qui, entre l'économie et la santé publique, pèsera le plus lourd dans la balance.
Laura-Julie Perreault
Article paru dans l'édition du 17.07.10
http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/07/16/une-mine-d-amiante-pourrait-rouvrir-au-quebec_1388744_3244.html