Sarkozy et son ministre Woerth bien éclaboussés par le scandale Bettencourt

Les ennuis s'accumulent autour du président de la République française et de son ministre du Travail, Eric Woerth, plongés malgré eux au beau milieu du scandale financier de l'affaire Bettencourt.

Par-delà la confrontation de la mère et de la fille Bettencourt devant les tribunaux, à propos d'énormes sommes soustraites à la mère par son gigolo, Bannier, les liens de Woerth mais aussi ceux de Sarkozy avec elle, révélés tout particulièrement ce matin par une ancienne comptable de la richissime héritière, constituent désormais une affaire d'Etat donnée en pâture sur la place publique.

Après avoir longtemps nié ses relations avec la vieille femme, l'ancien ministre du Budget vient d'être cité comme étant, auprès d'elle et de son défunt époux, le collecteur de fonds par l'entremise duquel Sarkozy aurait perçu de l'argent pour financier sa campagne électorale présidentielle de 2007. Il s'agit d'une coquette somme de 150 000 € touchée par Woerth au cours d'un dîner. Mais, il semble aussi que les prédécesseurs de Sarkozy aux campagnes précédentes, notamment Balladur et peut-être même Chirac aussi, auraient été déjà en leur temps gratifiés d'une aide conséquente par le couple mécène (l'époux Bettencourt est mort à la fin 2007).

De telles magouilles n'auraient sans doute pas tellement prêté à conséquence si, d'une part, l'épouse Woerth, conseillère financière de la dame Bettencourt, n'était pas au courant de ses fuites de capitaux vers la Suisse, qui laissent en même temps supposer que l'époux Woerth se serait prêté à leur protection ; si, d'autre part, les responsables du fisc avaient correctement fait leur boulot au lieu d'exonérer cette puissante contribuable de tout contrôle fiscal depuis 1995.

Le peuple et l'opinion exigent à présent des comptes, et surtout le départ de Woerth, voire celui de Sarkozy lui-même, tant ils se trouveraient tous deux compromis dans des malversations qui tombent mal dans un moment où l'on parle de crise économique, de rigueur dans la gestion des fonds publics, de blocage des salaires, de remises en cause des retraites, etc.

La meilleure preuve, enfin, que l'opinion se rebiffe se lit à travers l'exigence d'un remaniement ministériel exprimée par les 2/3 des Français, interrogés dans un sondage IFOP réalisé hier.

Tandis que la justice décide d'ouvrir une enquête pour vérifier les éventuelles infractions à la loi en matière de financements des campagnes électorales, telles que les laissent entendre les révélations de l'ancienne comptable de Mme Bettencourt, l'UMP et la "garde rapprochée" de Sarkozy sont sortis dans l'arène pour dénoncer des méthodes fascistes, des atteintes graves à la démocratie, contre des personnes, etc.

Tout particulièrement le site Mediapart dirigé par Edwy Plenel, l'ancien directeur du journal Le Monde, est tout désigné à la vindicte pour décrier des attaques jugées indécentes et inacceptables. Xavier Bertrand, le président de l'UMP mais aussi nombre de ses camarades ministres, secrétaires d'Etat ou simplement hauts fonctionnaires comme Guéant, ont tous crié haro contre une opposition à qui l'on ne reconnaît pas même le droit de s'exprimer et moins encore celui d'exiger des comptes.

La réaction immédiate de Plenel est de poursuivre dès aujourd'hui l'UMP et son président devant la justice.

Plenel résume d'ailleurs la situation avec assez de justesse en déclarant : "Eric Woerth est mis par ses amis dans la pire situation, parce qu'Eric Woerth sert de bouclier au président de la République. Tout cela est assez indigne, on devrait laisser la justice travailler". Il a ajouté plus loin sur France Info que l'attaque concertée menée par la seule "garde rapprochée" du chef de l'Etat, témoigne plutôt d'un "mépris profond de la démocratie et de la justice dans sa mauvaise foi".

Tout le monde aura compris, en vérité, que le fusible Woerth ne peut sauter sans risque d'entraîner dans sa chute le président Sarkozy lui-même et, par voie de conséquence, toute son équipe.

La journée aura été pleine de rebondissements, dans cette affaire.

Dans un premier temps, l'UMP, le cabinet du président de la République, les ministres, les journaux de droite, avec un bel ensemble, ont tous exulté après une prétendue virevolte de Claire Thibout, l'ancienne comptable de Bettencourt, sur la question des sous versés à Woerth pour la campagne présidentielle de Sarkozy, en 2007.

Pour tout ce monde, l'affaire est considérée dès lors comme classée désormais, avec la menace pendante sur la tête notamment de Plenel de lui payer en temps voulu le prix de ses assertions mensongères.

Ce dernier a aussitôt réagi pour confirmer la totalité des dires de Thibout.

Mais, à la mi-journée, un papier du journal Le Monde est venu remettre les pendules à l'heure, après avoir interrogé l'ancienne comptable. Celle-ci revient effectivement sur quelques mots mais pas sur le fond de sa déclaration.

Du coup, une nouvelle levée de boucliers s'est opérée à la vitesse grand V, avec ouverture de sites Internet, achat d'encarts publicitaires chez Google, etc., pour tenter de regrouper toute la mouvance sarkozyste derrière son mentor.

En fin de journée, une dépêche AFP est tombée mettant directement en cause l'acharnement du parquet pour obliger Thibout à se dédire. Voici le texte de l'agence tel que repris et commenté par le journal Le Figaro.

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Bettencourt: "acharnement" du parquet

L'ex-comptable de Liliane Bettencourt, à l'origine d'accusations de financement politique illégal, fait l'objet d'un "acharnement" du parquet de Nanterre pour qu'elle revienne sur ses déclarations, a déclaré aujourd'hui son avocat, Me Antoine Gillot.

Claire Thibout, entendue comme témoin à plusieurs reprises depuis lundi par la police, "fait l'objet d'un acharnement du parquet de Nanterre", a-t-il dit. "Elle est lasse d'être l'objet d'un tel acharnement. Tout est entrepris pour la faire revenir sur ses déclarations", a-t-il ajouté.

Mme Thibout a également été confrontée jeudi après-midi au gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre, pour préciser ses déclarations sur la remise d'une enveloppe de 50.000 euros en vue du financement de la campagne présidentielle de 2007. "Je ne suis pas surpris que ma cliente ait maintenu ses déclarations au cours de la confrontation", a dit Me Gillot.

Le directeur du site Mediapart, Edwy Plenel, mis en cause directement sur le sujet, s'est fendu d'une déclaration à l'AFP qui en dit long sur les procédés inqualifiables utilisés par la droite sarkozyste pour étouffer l'expression de la vérité. Le voici, tel que reproduit également par Le Figaro.
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Plenel: "jamais vu d'attaques si violentes"
AFP
08/07/2010 |

Le fondateur de Mediapart Edwy Plenel a déclaré ce soir n'avoir "jamais vu d'attaques aussi violentes", après avoir essuyé un tir groupé de plusieurs membres du gouvernement et de l'UMP contre les révélations de son site d'information dans l'affaire Bettencourt.

"Sous d'autres présidences de gauche comme de droite, j'ai vécu des attaques. Je n'en ai jamais vu d'aussi violentes et d'aussi basses", a déclaré à l'AFP l'ancien directeur de la rédaction du Monde. "Mediapart n'utilise pas des méthodes "fascistes" mais démocratiques. Nous sommes des journalistes professionnels", a-t-il ajouté en réaction aux propos du secrétaire général de l'UMP Xavier Bertrand, le premier à avoir parlé de "méthodes fascistes", mardi soir.

"Notre journal en ligne est reconnu par la Commission paritaire des publications et agences de presse", a-t-il expliqué. "La violence, la mauvaise foi et la démesure de ces attaques montrent une panique non pas face à une "rumeur", mais à des faits précis", a-t-il encore affirmé.

"Il y a une semaine une décision de justice nous en a donné acte jugeant "légitimes" et "d'intérêt public" nos informations", a conclu M. Plenel. Le tribunal de grande instance (TGI) de Paris avait rejeté le 1er juillet les demandes de Liliane Bettencourt et de son gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre, d'un retrait des sites Médiapart et Le Point des enregistrements pirates réalisés au domicile de l'héritière de L'Oréal.

Sarkozy a sans doute réussi, par les pouvoirs excessifs qu'il s'est octroyés pour contrôler les médias publics, sinon par les manipulations auxquelles ses amis responsables des grands journaux privés se sont prêtés, à étouffer en France la voix de la raison qui veut mettre au grand jour ses propres débordements, ses propres infractions à la loi. Mais, il ne peut rien, fort heureusement, contre les réactions de la presse étrangère, appartînt-elle à des pays amis.

C'est ainsi que les grands journaux américains et anglais se sont fait des gorges chaudes des divagations de ses ministres et de ses thuriféraires intéressés, comme Xavier Bertrand, Estrosi, Rama Yade et d'autres encore.

Rue89 publie une analyse dans ce sens, à partir des réactions de ces mêmes publications. Il est profitable d'en prendre connaissance. Voici son article.
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Soutien de médias anglophones à Mediapart et aux sites web

Par Laurent Mauriac | Rue89 | 10/07/2010

Critiqué en France pour son traitement du dossier Bettencourt-Woerth, notamment par l'UMP, Mediapart a reçu le soutien de la profession, à travers deux organisations, le Geste et le Spiil.

Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, plusieurs médias prestigieux ont rendu hommage à son travail d'enquête et, plus généralement, à l'émergence de sites capables de faire face aux pressions des pouvoirs et de concurrencer la presse traditionnelle.

« Dans les dîners, on en parle comme d'un Watergate français »

Le New York Times n'hésite pas à se référer au Watergate, en évoquant des dîners où on imagine que les convives ne sont pas membres de l'UMP :

« Dans les dîners, on en parle comme d'un Watergate français, mais avec au moins une grande différence : les futurs Woodward and Bernstein [du nom des journalistes ayant révélé le scandale du Watergate, ndlr] derrière le plus grand scandale frappant la présidence de Nicolas Sarkozy travaillent sur le Web et non dans un journal. […]

Les proches de M. Sarkozy ont lancé des invectives sur Mediapart. Xavier Bertrand, le leader de son parti de droite, l'UMP, a accusé le site de “méthodes fascistes” la semaine dernière à la radio.

Mais Mediapart a frappé les esprits avec son article, révélant sa capacité à définir l'agenda médiatique en France. Pendant plusieurs semaines, sa couverture de l'affaire a fourni la matière des unes des journaux les jours suivants. Lui et d'autres sites web d'information et d'investigation ont ainsi pu se développer en France, alors que la presse imprimée s'enfonce dans la crise. »

« Les sites Web se concentrent sur le reportage en profondeur »

Constat similaire du Financial Times, qui pousse un peu plus loin la critique de la presse traditionnelle :

« Le succès de Mediapart contraste avec les malheurs des journaux français, qui se battent contre des coûts élevés, un lectorat et des revenus publicitaires déclinants.

Paradoxalement, les journaux ont été lents à passer en ligne, ouvrant une niche pour des sites web qui se concentrent sur le reportage en profondeur. »

Selon le journal économique, la couverture de Mediapart souligne également « les limites de l'influence du Président sur les médias », même si « la principale chaîne de télévision et deux journaux quotidiens sont la propriété d'amis ou d'alliés politiques », allusion à TF1, au Figaro et aux Echos.

Sarkozy « isole les journalistes qui lui déplaisent »

Une dépêche de l'agence Reuters précise que ces liens ont permis au président de la République de contrôler une partie de l'information délivrée par les médias :

« Les amitiés proches de Sarkozy avec les propriétaires de médias traditionnels et son contrôle de la télévision publique et de stations de radio lui ont souvent permis de façonner la couverture de l'information et d'isoler des journalistes qui lui déplaisent. »

Une ingérence contre laquelle les sites d'information jouent un rôle salutaire :

« Certains sites web, comme Mediapart, Rue89 et Bakchich.info, sont moins sujets à une telle influence et attirent des lecteurs en publiant des scoops avec un ton plus incisif. »