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 Nécessité d'écrire l'histoire algérienne

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Oussan
Redflane
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Redflane

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MessageSujet: Nécessité d'écrire l'histoire algérienne   Nécessité d'écrire l'histoire algérienne EmptySam 19 Juin - 9:14

A mesure que le temps passe et que disparaissent les uns après les autres les acteurs actifs sinon les témoins encore vivants de la période entourant la lutte de libération nationale, le besoin d'écrire l'histoire tout particulièrement de cette lutte s'impose d'urgence.

Certes, par leurs contributions, souvent orientées et non exemptes de parti pris, quelques rares auteurs ayant participé de près ou de loin à la guerre ont apporté parfois quelques indices, quelques éclairages indispensables pour les jeunes générations qui ont besoin de connaître le passé de leurs ancêtres pour mieux aborder l'avenir, mais cela ne suffit pas. Pour être instructive, l'histoire a besoin d'être débarrassée de ses oripeaux. Comme dit Hassan II : "L’Histoire est une grande dame qui n’a pas besoin, grâce à Dieu, de soubrettes pour la maquiller afin de la rendre plus jolie. Elle reste toujours l’Histoire et sait apparaître comme il faut, quand il faut, où il faut."

Avec ses hauts et ses bas, ses excès et ses défauts, ses crimes et ses purges, ses actions d'éclat et ses faiblesses, la guerre dite de libération doit impérativement livrer ses secrets. Ils sont ceux de la nation et du peuple. Et s'agissant là d'un passé encore récent, il faut nécessairement l'assumer, en tout état de cause. C'est là l'unique moyen de surmonter les épreuves que le pays vit depuis l'indépendance, pour mieux appréhender le futur.

Dans ce sens, Le Soir d'Algérie de ce matin fait parler un historien. Écoutons-le.

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L’heure de l’écriture de l’histoire de l’Algérie contemporaine n’a-t-elle pas sonné ?
Par Saïd Dahmani, historien.

En consultant la bibliographie relative à l’histoire de l’Algérie moderne et contemporaine (1 500 à nos jours), notamment celle du nationalisme (naissance, développement, luttes politiques et guerre de libération), les titres produits par des historiens algériens, aussi bien en arabe qu’en français, apparaissent moins nombreux que ceux écrits par des Français ou des Européens.

Avant 1962, une des causes essentielles est la faiblesse de la formation, notamment universitaire. Après, ce sont les limites que l’administration a imposées : ostracisme vis-à-vis de périodes historiques ou de personnalités (on vient d’interdire un séminaire sur Messali, à Tlemcen, 36 ans après sa mort !!!) ou même de mots, rétention de documents, censure et autocensure.

Commençons par l’histoire générale de l’Algérie de 1515 à 1954. Ch.-A. Jullien avait publié deux ouvrages : Histoire de l’Afrique du Nord, de la conquête arabe à 1830; T.II, (1930), réédité et augmenté plusieurs fois et Histoire de l’Algérie contemporaine, la conquête et les débuts de la colonisation (1827-1871), (1964) ; ces deux titres restent une référence sérieuse. Moubarek Al Mili avait publié, en arabe, dans les années 1930 Târîkh al Djaza’ir fî al kadîmi wa al hadîthi ( Histoire ancienne et moderne de l’Algérie). L’ouvrage, malgré son titre, s’arrête aux Ziyyanides ! Cependant, il est rédigé dans un esprit moderne. Il semble s’être beaucoup inspiré de l’ouvrage de Ch.-A. Jullien. Abderrahmane Al Djilâlî avait publié également Târîkh al Djaza’ir al ‘âm (Histoire générale de l’Algérie), en 1954. Il s’arrête à la période des deys. Son style est celui de l’historiographie traditionnelle. Plus récemment, Ch. R. Ageron a publié Histoire de l’Algérie contemporaine, en 1979. Le professeur Mahfoud Kaddache a publié une synthèse de l’histoire de l’Algérie L’Algérie des Algériens, de la préhistoire à 1954 en 2003. En 2007, G. Meynier se lance, lui aussi, dans une histoire générale, dont le premier tome est L’Algérie des origines ; de la préhistoire à l’avènement de l’Islam, en attendant la suite.

On remarquera que la production «étrangère» relative à cette histoire générale de l’Algérie est prépondérante. D’autre part, la synthèse du professeur Kaddache exceptée, les autres «Târîkh…» sont dépassés.

Or, aujourd’hui, aussi bien le citoyen que l’étudiant ont cruellement besoin d’une histoire générale, fournie, complète et surtout objective dégagée des restrictions de toute nature, qui trace le parcours de la nation algérienne, le processus de sa construction.

Les ouvrages auxquels il a été fait référence, et d’autres encore assez nombreux, écrits par les Français notamment, quelle que soit l’objectivité de leurs auteurs, sont fondés sur une problématique qui ne répond pas forcément à la problématique fondamentale qu’est le parcours de l’édification de l’Algérie dans une optique intérieure algérienne ; autrement dit, ce n’est pas l’histoire de la nation et de son projet ; ces œuvres s’adressent d’abord au lectorat français.

Devons-nous alors rester les éternels «étrangers à l’écriture de notre histoire» comme ce fut le cas de notre histoire dans l’Antiquité par exemple ou de notre histoire sous la colonisation ?

Justement, pour la période de 1830 à 1962, le citoyen algérien ne trouve que peu d’ouvrages de référence dans la bibliothèque algérienne, produits «à l’intérieur ». Sauf à aller, encore et probablement pour longtemps, solliciter «les autres» généralement volontiers plus écoutés, parfois par des personnalités situées à un haut niveau : à l’exemple de l’un d’entre eux reçu souvent à bras ouverts ; répétons-le : ces historiens font du bon travail, mais leur destination première est le lectorat français dont le pays était impliqué dans les évènements de cette période.

A ce propos, sur quel support historique s’appuient nos députés qui ont déposé le projet de loi de criminalisation du colonialisme ? Disposent-ils d’une histoire fouillée de la colonisation et de ses méfaits ? Ont-ils constitué une commission d’historiens indépendants chargée d’élaborer, scientifiquement, cette histoire de la colonisation par «le colonisé» ; histoire qui continue à être écrite par le concitoyen du colonisateur, fût-il le plus honnête et le plus objectif ?

Au sein de cette période, une séquence fondamentale de l’histoire nationale : 1900-1954, reste la moins étudiée objectivement et scientifiquement par l’historiographie algérienne. En effet, l’émergence de l’Algérie algérienne contemporaine s’était faite au cours de ce demi-siècle.

Cette période avait connu une intense activité culturelle et politique. Dans les villes qui voient gonfler leurs populations autochtones, suite à un exode forcé des populations rurales déclassées par la dépossession coloniale de leurs terres, la solidarité tribale évolue vers une solidarité plus large : nationale. Eclosent alors un grand nombre d’associations culturelles et sociales, créant la matrice d’une société civile. L’action et la littérature de ces associations réveillent les consciences.

Les associations ne tardent pas à être rejointes d’abord par les premières élites lettrées urbaines qui ont formulé des revendications anticolonialistes, réclamant l’égalité dans la «cité coloniale» en vain, puis par la fondation de formations politiques nationalistes structurées, notamment après la Première Guerre mondiale. En 1954, la scène politique présentait un éventail de partis politiques : le Parti du peuple algérien/ Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA/MTLD), l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA), ces deux formations étant exclusivement algériennes tant du point de vue projet national que du point de vue ressources humaines.

D’autres formations politiques accueillaient, en plus ou moins grand nombre, des militants algériens : le Parti communiste algérien (PCA) qui évoluera pour devenir, à la fin de cette période, davantage proche des revendications nationales algériennes et les sections locales de la SFIO ou du MRP. C’est dire, malgré la répression, les interdictions, combien une vie politique animée bouillonnait avec ses meetings, ses publications et ses journaux. Il existait un multipartisme national algérien, certes dominé par la formation la plus radicale, le PPA/MTLD, mais ce multipartisme marquait la maturité politique de la société algérienne et la formation de militants aguerris en nombre et des cadres de haute valeur. Chacun de ces partis ou associations avait son projet, sa démarche relative à la question nationale et sa vision de l’avenir. Des échanges, des contacts se faisaient ; l’idée d’un front uni de ces différentes forces avait pris forme.

Or, au lendemain de 1962, s’est imposée l’idée fallacieuse de la responsabilité, entre autres, du multipartisme d’avant 1954 dans le retard du déclenchement de la lutte armée. Cette assertion s’appuie sur une mauvaise lecture et sur une interprétation tendancieuse de l’appel du 1er Novembre qui fait allusion, en fait, à la crise interne du PPA/MTLD et à sa scission dont la conséquence fut la création du CRUA dont les membres, militants du PPA, visaient à préserver les acquis de la conscientisation et la politisation des militants dans la préparation à la lutte violente. Des générations entières, de 1962 à nos jours, ont été élevées dans la suspicion vis-à-vis du multipartisme, dans le refus des idées de l’autre et dans le rejet du débat contradictoire.

On ne cessera d’insister que ces cinquante ans sont cruciaux dans la vie de la nation algérienne et qu’ils ont été insuffisamment étudiés, malgré quelques études dues à des Algériens. On notera : Belkacem Saâdallah, Al Haraca al wataniya al djaza’iriya ( Le mouvement du nationalisme algérien), (1969) ; son étude porte sur la période 1900-1930 ; Ahmed Mahsas, Le mouvement révolutionnaire en Algérie, de la Première Guerre mondiale à 1954, (1979) ; Mohammed Harbi, Aux origines du FLN( 1975) et Le FLN, mirage et réalité ; des origines à la prise du pouvoir 1945- 1962 (1980) et Mahfoud Kaddache, Histoire du nationalisme algérien ; question nationale et politique algérienne 1919-1951 (1981). A ce jour, ce dernier ouvrage fournit le plus de connaissances et d’informations sur cette tranche de l’histoire du combat politique contre le colonialisme français et sur la formation politique diverse de l’Algérien. C’est insuffisant pour la connaissance de cette période et son importance dans le déroulement des évènements

Quand le combat politique s’était avéré dans l’incapacité d’aboutir à l’émancipation, et que le recours à la violence était devenu inéluctable et seul moyen de libérer le pays, les premiers à avoir pris l’initiative de recourir à la lutte armée furent les animateurs du Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (Crua) issus du PPA/MTLD. Avec un décalage, dû à la croyance qu’une «révolution par la loi», selon la formule de Ferhat Abbas, était encore possible, les autres forces politiques et culturelles avaient fini par rejoindre la lutte armée.

Il est cependant à souligner que même si l’adhésion était «individuelle», les militants des divers horizons, tout en assumant leurs responsabilités à divers échelons du FLN/ALN, restaient porteurs de leurs sensibilités acquises et héritées des cinquante années précédentes. Mustapha Benboulaïd (PPA/MTLD) et Mahmoud Cherif (UDMA), qui furent chefs de la Wilaya I (Awras-Nememchas), n’appartenaient pas à la même sensibilité politique. Il y a à méditer entre le cursus d’un Amirouche-Aït Hammouda (MTLD) et celui de Mohammedi Saïd (ancien baroudeur). Les ministres du GPRA ne s’apparentaient pas aux mêmes horizons politiques anté-1954… Et il ne fait aucun doute que la gestion de la lutte armée aussi bien humaine, politique que militaire eut à se ressentir et à s’imprégner de cette diversité de sensibilités, bien que la ligne générale fût la norme pour tous. Les premières classes de militants, toutes catégories confondues, étaient pourvues d’une solide culture politique.

Dès lors, écrire sur le déroulement des évènements de la lutte politico-armée de 1954 à 1962 sans la lier au préalable, avec précision et sans restriction ni ostracisme, à la période de gestation cruciale de 1900 à 1954, risque de faire croire que 1954-1962 relève de la génération spontanée, un coup de tonnerre dans un ciel serein.

L’historiographie officielle, en effet, a traité depuis 1962 l’histoire de la lutte armée en occultant l’essentiel de ses sources et de ses racines. Généralement, la narration a été restreinte à l’aspect combats militaires, à l’hommage à l’héroïsme, à l’évocation de certains dirigeants et à l’occultation d’autres. C’est plus une mythologie qu’une histoire rationnelle. Le cas de reniement et d’ostracisme le plus révoltant, battant le record de la non-humanité, est celui de la séquestration des dépouilles de deux dirigeants de la lutte : Benabderrazzak Si El Haouès et Aït-Hammouda Amirouche ! Dans le cas de deux publications sérieuses pourtant, la partie consacrée à la phase pré-1954 occupe un espace congru : dans Mohammed Teguia, L’Algérie en guerre, l’avant-1954 occupe les pages 23 à 97 sur 431 pages ; et dans Slimane Chikh, L’Algérie en armes, l’avant-1954 occupe les pages 30 à 82 sur 527 pages.

Par ailleurs, il y a à tenir compte des classes qui avaient rejoint la lutte dans la deuxième moitié de la période 1954-1962 ; elles étaient moins matures politiquement. De la ferveur patriotique elles en étaient gonflées à bloc. Mais il leur manquait la formation politique dont le FLN avait été plutôt avare sinon dépourvu, dans cette deuxième moitié du parcours, notamment quand il s’agissait des militants issus des campagnes. En guise de formation, ils étaient embarqués dans le tourbillon des ambitions pour le pouvoir de ceux qui activaient à supplanter les classes de militants des premières heures.

Voilà un deuxième élément important généralement absent des écrits sur la période 1954-1962. L’analyse de la composante humaine des militants de la lutte armée est absente. Elle expliquerait, au moins en partie, les tensions entre directions successives depuis 1954 à 1962 et leur effet sur la fin de la lutte armée.

Il y a également à déplorer vigoureusement l’indigence des programmes d’histoire dans le cursus scolaire où se construit la personnalité civique du futur citoyen adulte.

Certes, depuis environ une décennie, la bibliothèque relative à l’histoire contemporaine de l’Algérie s’est enrichie de nombreux témoignages et de mémoires de certains acteurs de «1954-1962», d’études fragmentaires, de biographies de personnages de premier plan. Certaines publications provoquent des débats autour de la recherche de la vérité et surtout autour de la rétention des archives.

Surtout quand on sait qu’une partie de ces archives est à la disposition des chercheurs à Vincennes ou à Aix-en-Provence et non dans leur pays de naissance ! Cependant, si ces publications permettent une sorte «d’accumulation de connaissances» qui servira à l’élaboration d’une histoire assez objective du mouvement national de libération, dans laquelle l’édification de l’Algérie moderne et progressiste fut et reste le projet par excellence, il y a lieu de constater que si on n’y prenait pas garde, ces travaux auraient tendance à faire de leur objet la finalité ultime.
S. D.
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Oussan

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MessageSujet: Re: Nécessité d'écrire l'histoire algérienne   Nécessité d'écrire l'histoire algérienne EmptyLun 28 Juin - 10:31

Le sociologue Lahouari Addi, professeur à l'université de Lyon, est revenu sur ce thème lors d'une conférence tenue à Tizi-Ouzou le 16.06.2010. Le Soir d'Algérie a dégoté le texte prononcé par l'orateur. Le voici, dans son intégralité :
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L’écriture de l’histoire et ses implications politiques en Algérie

Conférence de Lahouari Addi
Tenue à l’université de T.O. le 16.06.2010

Pourquoi un pays comme l’Algérie a des difficultés à débattre publiquement et sereinement du passé de la guerre de Libération nationale ? La réponse réside dans le fait que le régime actuel est issu de cette histoire et ses dirigeants ont été les protagonistes des conflits internes au FLN qu’ils refoulent. Ils construisent une histoire de la guerre de libération qui a commencé en novembre 1954 et qui s’est terminée par la victoire en 1962 et dans laquelle les Algériens et les responsables étaient unis.

Le régime se présente comme l’héritier du 1er Novembre 1954, alors qu’il n’est qu’un courant du mouvement national qui s’est imposé sur les autres.

Ce qui est à souligner, c’est qu’il a exercé un monopole sur Novembre 1954 pour se présenter comme son incarnation légitime, et pour cela, il faut refouler les événements et les hommes qui contredisent ce récit.

Le discours officiel retient que Boumediène a été chef d’état-major et que, à ce titre, il est le représentant légitime du mouvement national, en passant sous silence qu’il n’était pas un combattant de l’intérieur et que sa désignation à ce poste a été un compromis entre les trois B (Boussouf, Bentobal, Belkacem Krim) qui, chacun de son côté, pensait le manipuler, étant donné les qualités qu’il présentait à l’époque : timidité, faible personnalité et absence d’ambition. L’histoire officielle va refouler ces aspects qui contredisent le mythe de l’unanimité et de la continuité. Elle est une reconstitution désincarnée du passé où l’acteur est un personnage abstrait – le peuple – représenté toutefois par le leader. Si le leader n’est pas un maquisard, s’il a violé le Congrès de la Soummam en refusant le double principe de la primauté du politique sur le militaire et l’intérieur sur l’extérieur, s’il a opéré un coup d’Etat dès l’indépendance en renversant l’organe institutionnel légitime — le GPRA— il est alors urgent de mettre sous surveillance l’Histoire car elle risque de démentir la fiction sur laquelle le régime est construit.

Cependant, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et croire que l’histoire du pays est une succession de complots et de trahisons.

Ce serait une erreur de parler de Boussouf, Boumediène et du MALG en termes négatifs et leur intenter des procès soixante ans après. Ces acteurs appartiennent à l’Histoire et, à ce titre, il faut les prendre pour des représentants de courants et de sensibilités enracinés dans la société. La force seule n’explique pas la défaite du GPRA face à l’état-major en 1962. Il y a eu probablement des raisons de conjoncture, mais l’explication fondamentale réside dans le fait que l’EMG a exprimé le populisme du mouvement national.

Le Bureau politique proclamé à Tlemcen, et qui réunissait Ben Bella, Khider, Boumediène, Mohammedi Said, etc. a été la victoire du populisme bien ancré dans la culture politique des couches populaires. Comme universitaires, nous ne devons pas idéaliser la société et diaboliser les dirigeants. Cette société, à majorité rurale, exténuée par une colonisation qui lui a refusé l’insertion dans la modernité, a donné naissance à un nationalisme où l’utopie tient lieu d’espoir et qui est marqué par des limites idéologiques qui seront un obstacle à la construction de l’Etat de droit. De mon point de vue, seuls deux responsables ont essayé de dépasser ces limites : Ferhat Abbas et Aït Ahmed. Ferhat Abbas attirait l’attention sur le défaut de réduire la civilisation occidentale au colonialisme. Il souhaitait que l’Algérie apprenne de la civilisation occidentale, ce qui semblait être une trahison pour des responsables comme Mohammedi Said ou Houari Boumediène. Quant à Aït Ahmed, dès 1962, il voulait que la souveraineté passe de l’ALN à l’Assemblée nationale constituante. Ces deux hommes ont été mis en minorité parce qu’ils étaient en avance par rapport aux représentations de leur société, parce qu’ils n’avaient pas de soutien. Le commandant Moussa, que j’ai connu à Oran, m’avait expliqué qu’il voulait le multipartisme en 1962 mais il n’avait pas trouvé d’appui parmi les anciens maquisards de la Wilaya IV.

Boumediène s’est opposé à Ferhat Abbas et à Aït Ahmed sur la base de divergences idéologiques et politiques profondes et non sur des bases personnelles. Boumediène était un militant sincère, mais il était limité intellectuellement. Son projet était voué à l’échec parce qu’il reposait sur une vision populiste et utopique qui niait l’essence du politique. Il voulait remplacer le politique par la morale. Il rêvait d’une Algérie industrialisée et développée avec des rapports d’autorité sans contrepoids institutionnel, rapports fondés sur la violence de la police politique (la fameuse Sécurité militaire). Il se réclamait du socialisme parce que cette idéologie moderne justifiait le parti unique et l’étatisation de l’économie.

Il n’était pas anti-capitaliste, il était pré-capitaliste. Il n’avait pas perçu que le procès de travail industriel exigeait la mise en place d’une société civile à laquelle il était farouchement opposé parce qu’il ne supportait pas que les Algériens soient en compétition ouverte pour les biens et services et pour le pouvoir. Il parlait de révolution culturelle, mais elle signifiait essentiellement retour aux sources pour reconstituer la personnalité algérienne détruite par le système colonial, comme si l’identité était une substance immuable et insensible à l’Histoire.

Dans le régime de Boumediène, ni l’Histoire, comme discipline académique, ni la sociologie ou la science politique n’ont leur place, parce quelles ont une démarche et un discours qui enlèvent toute légitimité au populisme. Cela explique le fait que l’Histoire ne se soit pas développée et qu’il n’y a pas eu de thèses ni sur Amirouche, ni sur Lotfi ou Zoubir, ni sur Boussouf et même sur Boumediène. Le passé reste prisonnier du présent sur lequel pèsent les orientations officielles.

La lecture du passé est aussi un rapport de force du présent entre les intérêts politiques et idéologiques qui s’opposent dans la société. Les différentes sensibilités n’ont pas la même interprétation du passé.

A cet aspect politique, s’ajoute la dimension théorique et épistémologique qui rappelle que l’Histoire n’est pas une description positiviste des faits passés, mais une reconstitution des événements pour leur donner une logique et une interprétation qui fait sens avec le présent. L’Histoire est une science sociale qui n’étudie pas une réalité objective comme celle du monde organique.

L’historien ne peut pas revendiquer l’objectivité du chimiste ou du physicien. Cela voudrait-il dire que ses travaux sont subjectifs ? Evidemment non. Son objet est l’action humaine qui relève de l’interprétation, une double interprétation : celle des acteurs et la sienne. La question qui se pose est la suivante : l’Histoire est-elle une science ? Pour répondre, il faudra définir ce qu’est la science. La définition du dictionnaire est la découverte de la réalité et du caractère vrai des choses. Cette définition est valide pour le monde organique (chimie, physique…), mais pas pour le monde social dans lequel il n’y a pas de Vérité à découvrir. Les sciences sociales tentent de comprendre le sens que donnent les acteurs à leurs actions et à leurs valeurs. Par conséquent, elles interprètent le comportement des acteurs en les situant dans leur environnement social, politique, économique, culturel… Si je prends l’exemple du colonel Amirouche dont il a été beaucoup question ces dernières semaines, ce personnage renvoie à la Kabylie des années 40 et 50, au parti PPA-MTLD dont il était un militant, au système colonial qu’il haïssait, etc. Amirouche n’est pas seulement un individu avec sa psychologie propre ; c’est un élément d’une fresque aussi contradictoire que cohérente et à laquelle il ajoute sa touche personnelle. Par conséquent, l’Histoire n’est pas le récit de vies d’individus sortis de l’anonymat.

C’est aussi l’analyse des conditions sociales et culturelles et des actions entreprises par les milliers d’anonymes qui forment des hiérarchies d’où émergent les Amirouche dans la Wilaya III, Lotfi dans la V, Si M’hamed dans la IV, etc. Et si ces individus sortent de l’anonymat et deviennent des chefs incarnés dans des visages familiers, c’est parce qu’ils sont représentatifs de convictions, de valeurs ou d’aspirations collectives qui leur donnent une pertinence historique. Par conséquent, il ne faut pas isoler Boussouf, Boumediène, Krim Belkacem… de leur contexte.

L’historien n’est pas arbitraire dans ses choix d’étude. Il est tributaire de la mémoire qu’il essaye de discipliner en lui enlevant les dimensions mythiques. La mémoire d’un événement est un fait social où souvent le mythe est mobilisé pour donner au passé un caractère particulier dans l’identité du groupe. L’Histoire est aussi une mémoire, mais elle a ses propres règles, ses méthodes de construction du récit narratif. Elle utilise les archives, les documents, les témoignages, et confronte les points de vue. Tout ce travail est mené dans un champ académique qui a ses revues scientifiques, ses centres de recherche, ses congrès, etc., avec leurs procédures de vérifications des thèses et hypothèses. En un mot, l’Histoire est une mémoire validée par des critères académiques.

C’est une science sociale et, en tant que telle, rencontre des obstacles épistémologiques qui renvoient à la culture en Algérie. L’Algérien moyen ne croit pas que le fait social relève de la sociologie, ou que le fait passé relève de l’Histoire, ou que l’acte marchand relève de l’économie politique. Tous ces actes sociaux relèveraient de la morale ou de la psychologie avec la grille de lecture du bon et du méchant. C’est ce qui explique du reste la popularité du discours islamiste.

L’histoire demeure cependant une interprétation du passé, interprétation susceptible de changer de génération en génération en fonction des questionnements et des préoccupations du moment.

C’est pourquoi elle est une réécriture permanente du passé par des historiens dont la profession est la recherche et l’enseignement à l’université. Si Boumediène est aujourd’hui critiqué publiquement et accusé d’être impliqué dans la mort de Amirouche, c’est parce que son régime a échoué. S’il avait réussi à développer le pays et à en faire un Etat de droit, cette accusation n’aurait aucun écho. Par conséquent, c’est le présent qui nous pousse à revisiter le passé en fonction des préoccupations du moment. Mais pour que ce passé soit le domaine de l’historien, il faut que celui-ci ait une autorité scientifique dans son domaine qui lui soit reconnue par ses pairs et par le public qui le lit. L’autorité scientifique suppose cependant l’existence d’un champ universitaire élaboré et indépendant du pouvoir politique, ce qui n’est pas le cas de l’Algérie où l’Etat cherche à exercer le monopole sur la mémoire, redoutant la concurrence de l’historien dans la production de la parole légitime sur le passé, ce qui débouche sur un conflit qui tourne en faveur de l’Etat. Que peut faire l’historien ? Soit s’exiler (le plus grand historien du mouvement national, M. Harbi, enseigne en France), soit participer au récit national de l’Etat et avoir des gratifications comme un poste de sénateur, soit se taire et ne rien écrire, ce qui est le cas de la majorité des historiens algériens qui, de temps en temps, interviennent dans la presse nationale sur des sujets consensuels. Ceci n’est pas spécifique à l’Algérie et je ne veux pas dire que l’Algérie est dirigée par des gens qui veulent cacher la vérité. La situation est un peu plus compliquée et renvoie à la formation du champ politique dans lequel il y a une lutte féroce pour le pouvoir. Dans les pays où l’Etat se construit, les rapports d’autorité ne sont pas institutionnalisés et les élites dirigeantes mobilisent toutes les ressources pour se légitimer, et parmi ces ressources, il y a la mémoire. Tout comme il est interdit à l’entrepreneur privé d’être un agent économique libre, au syndicaliste d’être autonome, etc., il n’est pas permis à l’historien de s’approprier une ressource de légitimation pour les élites dirigeantes.

La mise sous tutelle administrative de l’université a pour objectif d’empêcher qu’émerge un discours en sciences sociales qui menacerait le discours du régime. Il faut empêcher l’apparition d’historiens, mais aussi de sociologues, de linguistes, d’économistes, de politistes, etc. qui auraient une autorité scientifique reconnue et qui seraient autonomes du pouvoir exécutif. C’est une lutte implacable de pouvoirs : le pouvoir exécutif n’accepte pas le pouvoir universitaire comme il n’accepte pas le pouvoir judiciaire, législatif, de la presse, ou le pouvoir économique, syndical, etc.

Ce faisant, le pouvoir exécutif empêche la fondation d’un Etat de droit parce que celui-ci est l’articulation entre les pouvoirs sociaux.

La vocation de la Constitution est d’institutionnaliser les rapports entre les différents pouvoirs. Dans les pays du Tiers- Monde, dans la mesure où la légitimité politique n’a pas pour source les élections, l’Etat transforme toutes les activités en source de légitimité, y compris le football. Par conséquent, toute parole en dehors de celle de l’Etat est subversive : pointer le dérèglement de l’économie nationale, parler de la faiblesse du pouvoir d’achat ou évoquer la mort du colonel Amirouche a des implications politiques.

C’est ce qu’a montré la controverse au sujet du livre de Saïd Sadi. Ce dernier n’est pas historien, mais médecin et homme politique. Il a cependant le droit de dire ce qu’il veut sur le passé.

La mémoire n’appartient pas aux historiens, ni à l’Etat. Sadi avance l’hypothèse selon laquelle le colonel Amirouche aurait été donné à l’armée française par des responsables politiques de l’époque. Il y a des indices mais pas de preuves irréfutables. Là, il y a débat. Cependant, il a raison sur un point : les corps des colonels Amirouche et Haouès ont été séquestrés dans une gendarmerie nationale et privés de sépulture dignes de leurs personnalités. Comment se fait-il que les corps de héros nationaux soient ensevelis dans une caserne pendant 20 ans ? Certes, le régime sous Chadli a réparé ce scandale en 1983, mais le crime a été commis par Houari Boumediène, le fondateur du régime actuel.

Quelle lecture peut-on faire de cette controverse menée publiquement dans la presse et à laquelle les historiens n’ont pas pris part ?

C’est une controverse politique où un homme politique a utilisé un symbole de la mémoire nationale pour délégitimer le fondateur du régime, le colonel Boumediène.

Ceci renseigne sur l’épuisement idéologique du régime algérien qui n’a pas la capacité de défendre un de ses symboles. Plus que cela, un des colonels de wilaya, Ali Kafi, tout en réfutant la thèse du livre de Saïd Sadi, a sévèrement critiqué Boumediène en disant qu’il a été une catastrophe pour le pays. En réalité, le régime issu du coup de force de 1962 a achevé sa dynamique en octobre 1988, et il se maintient par la rente pétrolière et la violence d’Etat. J’espère que je vous ai convaincu que l’écriture de l’Histoire n’est pas une mince affaire et qu’elle a des implications politiques et théoriques qu’on ne peut ignorer.
L. A.
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Tinhinane

Tinhinane


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MessageSujet: Re: Nécessité d'écrire l'histoire algérienne   Nécessité d'écrire l'histoire algérienne EmptyDim 4 Juil - 11:23

Sous la signature d'Abdelmadjid Azzi, ancien syndicaliste, un ouvrage portant le titre "Parcours d'un combattant de l'ALN" a été édité chez 1000 feuilles à Alger.
Lahouari Addi, le sociologue professeur à Lyon, lui consacre un papier, que voici, publié dans le journal Le Soir d'Algérie d'aujourd'hui. Addi y retrace la vie de l'auteur mais surtout note au passage quelques impressions relatives à la "bleuïte".
Le livre par lui-même constitue un témoignage qu'il faut lire.
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L’inépuisable histoire de l’ALN

Par Lahouari Addi

Depuis quelques années, la mémoire nationale s’est enrichie de nombreux ouvrages d’anciens maquisards qui ont choisi, après une période de silence, de parler de leurs vécus dans les maquis. C’est une aubaine pour les historiens qui se plaignent souvent, à juste titre, de l’absence d’archives et de témoignages d’acteurs. Dans l’ensemble, il y a peu d’ouvrages écrits par les combattants de l’ALN, mais si l’on devait faire un classement, la Wilaya III arrive en tête. Il faut espérer que les maquisards des autres wilayates se mettent à écrire leurs mémoires pour que leur engagement ne tombe pas dans l’oubli.

Abdelmadjid Azzi, ancien moudjahed de la Wilaya III, vient d’apporter sa pierre de touche à l’écriture du passé de cet événement fondateur, la guerre de libération. Dans un style simple, dépouillé, il raconte son enfance à Hassi-Bahbah, près de Djelfa, où son père a été chef de gare. Agé de 17 ans en 1954, il vivait les débuts de l’insurrection avec intérêt. Après l’examen du CAP qu’il réussit en 1955, il a trouvé à s’occuper dans une horlogerie tout en explorant la possibilité de gagner les maquis. Un ami d’enfance, Mouloud Benmouffok, l’aide en 1956 en se portant garant de lui. Il faut rappeler que, pour se prémunir des infiltrations de la police, l’ALN ne recrutait pas sans parrainage ou sans acte de violence contre les autorités coloniales.

Affecté au secteur IV de la région III de la zone II de la Wilaya III, le jeune Azzi, du haut de ses vingt ans, s’est vite adapté à la vie de maquis, malgré les déplacements incessants, la crainte d’être repérés par l’armée coloniale, les insomnies, la faim, la soif… et les poux. Toutes ces contraintes sont supportées grâce à l’esprit de corps des djounoud qui savent qu’ils peuvent compter les uns sur les autres dans les moments difficiles, c’est-à-dire l’épreuve de feu. Quand l’un d’eux est blessé, ils font tout pour le récupérer et l’évacuer dans les infirmeries de fortune. Et quand l’un d’eux tombe au champ d’honneur, c’est la consternation, la tristesse, refoulées cependant avec le serment de continuer la lutte pour que le camarade ne sera pas mort pour rien.

Lors d’une opération destinée à couvrir la section, Azzi Abdelmadjid reçoit une balle qui atteint le thorax. Inconscient, il est transporté par ses camarades dans un buisson où ils reviennent le récupérer la nuit. Donné pour mort, ils creusent sa tombe et, au moment où ils veulent l’enterrer, l’un d’eux se rend compte que son corps n’est pas froid. Le sergent-chef Abdelli colle son oreille à la poitrine et dit « Dieu soit loué, il n’est pas mort ». Plus qu’ailleurs, au maquis, la vie ne tient qu’à un fil. « J’ai faussé compagnie aux chouhada. La mort attendra », ironise Azzi. Transporté vers l’infirmerie (un refuge au village Chehid), il fut pris en charge par Lounis Merrar. Quatre jours après, un ratissage de grande envergure était annoncé, ce qui oblige l’infirmerie et les malades à rejoindre des abris de fortune.

Azzi fut porté par une villageoise à la corpulence forte. Il fallait cependant trouver un autre endroit car les soldats français avaient décidé d’occuper le village pour plusieurs jours. Après une échappée nocturne au cours de laquelle Azzi croyait vivre ses dernières heures, le groupe décida de revenir à l’infirmerie du village que les soldats avaient fini par quitter. Son état était tel que le sergent-chef Abdelli décida de l’évacuer vers l’infirmerie de l’Akfadou mieux équipée. Dès qu’il a été soigné et remis sur pied, il voulait rejoindre sa section et redevenir opérationnel, mais l’aspirant Mezaï l’a convaincu en lui disant que l’ALN manque plus d’infirmiers que de combattants. Il sera désormais au service de la santé où il apprendra à faire un diagnostic, à prescrire des antibiotiques, à faire des injections, à poser un garrot pour arrêter une hémorragie, à immobiliser un membre fracturé, à déplacer un blessé ; bref, à devenir un infirmier formé sur le tas dans des conditions d’exercice de la médecine inimaginables. Depuis, Azzi est devenu infirmier dans l’ALN, dans les services de santé de la Wilaya III dirigés par les docteurs Néfissa Hammoud et Mustapha Laliam, jusqu’à leur arrestation dans un accrochage meurtrier à Draâ-Errih, Medjana, près de Bordj- Bou-Arréridj. Dans cet accrochage, nous apprend Azzi, ont succombé l’aspirant Oukmanou, Rachid Belhocine, Mohamed Redjou ainsi que Raymonde Péchard, dite Taous. C’est dans des termes émouvants que l’auteur évoque ces personnages.

La tâche d’infirmier de l’ALN n’était pas aisée car les infirmeries n’étaient pas équipées et le personnel qualifié n’était pas disponible. Il fallait apprendre sur le tas comment extraire une balle ou opérer pour amputer un membre du corps du blessé. Azzi raconte l’amputation de la jambe gangrenée du moudjahed Slimane qui avait reçu plusieurs éclats d’obus. « Penchés sur le blessé, écrit-il, Hamid Mezaï (infirmier) et Khelil Amrane (étudiant en chirurgie dentaire) examinent l’évolution de la gangrène pour situer l’emplacement exact où sera amputé le pied. Tout autour, Lounis Merrar, Mohamed Larbi Mezouari, Kaci Hassan et moi écoutons les commentaires anatomiques instructifs. » (p. 111). L’opération fut réussie et le combattant a été sauvé d’une mort certaine. « J’en frémis encore rien que d’y penser, écrit Azzi,… à de tels actes aussi spectaculaires que fabuleux…» (p. 112). Il est admiratif devant Hamid Mezaï dont le savoir-faire appris sur le tas a soulagé de si nombreux blessés et sauvé tant de vies humaines.

L’une des parties de l’ouvrage la plus difficile à lire est celle consacrée à l’opération de la Bleuite au cours de laquelle l’auteur a eu à soigner des combattants torturés pour avoir été accusés d’être des informateurs du capitaine Léger. « Je découvre stupéfait, écrit Azzi, dans une cabane au fond de la forêt des corps gémissants de douleur, à moitié nus, attachés les uns aux autres, et assis à même le sol, leurs visages déformés par la souffrance et étalant sous mes yeux un spectacle lamentable. Ils présentent tous des ecchymoses et des brûlures infectées sur tout le corps et, pour certains, des plaies sur le cuir chevelu » (172). Pendant plusieurs semaines, le PC de la Wilaya a réuni à l’Akfadou les officiers qui avaient mis sur pied un tribunal pour juger les suspects. Lorsqu’ils sont reconnus coupables, ces derniers sont escortés par un groupe de djounoud pour faire face au peloton d’exécution. A leur passage, des voix s’élèvent pour les accabler. « L’incroyable poids du non-sens, l’impuissance qui étouffe la colère, qui secoue l’émotion, la subjectivité peuvent dérouter et mener parfois à l’irréparable. Hier ces combattants les adulaient, aujourd’hui ils réclament à cor et à cri leur tête… Ainsi sont les hommes depuis la création du monde, ils suivent les puissants même s’ils ont tort. » (177). La Bleuite a été une épreuve tragique qui a laissé des séquelles traumatisantes pour bon nombre d’acteurs de l’époque. « Ce que nous venons de vivre, écrit Azzi, ne nous honore pas. Il marquera à jamais notre mémoire et entachera irrémédiablement notre combat que nous voulions certainement pur et exemplaire. » (178). A quelques exceptions près, les maquisards de la Wilaya III n’en veulent pas au colonel Amirouche qu’ils admirent. Ils considèrent qu’il a été lui-même victime d’un complot et il a été le premier à reconnaître son erreur. L’ALN, disait-il, « ne commet pas d’injustice, elle commet des erreurs ». Azzi parle de lui en termes respectueux. En 1957, à la fin du mois de juillet, il le croise au village Ighil-Oumced. Voilà ce qu’il écrit à son sujet : « Après l’avoir salué, il nous invita à entrer. Il avait tout de suite remarqué mon visage transformé par l’émotion, puis d’un geste affectueux, il me prit par la main et me fit asseoir auprès de lui. Il me posa plusieurs questions. Il voulait savoir d’où je venais et depuis quand j’étais là, ce que faisait mon père, quel était mon âge, mon niveau d’instruction, etc. » C’est ainsi que les maquisards de la Wilaya III parlent de Amirouche (voir les récits de Djoudi Attoumi et de Hamou Amirouche) : respect, admiration, fierté d’avoir servi la patrie sous ses ordres. Pour comprendre cet état d’esprit, il faut rappeler que Amirouche symbolisait l’ALN. La conviction nationaliste et l’idéal de l’Etat indépendant ont eu besoin de s’incarner dans les traits d’un homme : en Wilaya III, cet homme, c’était Amirouche.

En 1959, alors qu’il se trouvait avec Lounis Merrar dans une cache sur les hauteurs de Bouchibane, Azzi est blessé et fait prisonnier. Il est confronté à deux anciens maquisards – Mohand Arab et Mohamed Aroum —qui avaient trahi en passant à l’ennemi. Durant l’interrogatoire, il se réfugie derrière son statut d’infirmier dans l’ALN, ce qui le sauva. Un harki, du nom de Ali, l’a emmené vers le ravin pour l’exécuter, et c’est le capitaine français qui l’en empêcha. Après plusieurs jours passés dans une caserne militaire où les prisonniers étaient soumis à « des interrogatoires poussés », Azzi est transféré dans un camp de détention à Akbou où il est chargé de soigner les prisonniers malades. Il y passe quelques semaines au terme desquels il est libéré et… remis entre les mains de gendarmes qui l’emmènent à la caserne de Téléghma où il sera enrôlé comme appelé du contingent. De là, il est affecté en Allemagne où il effectuera son service militaire dans une caserne. Là aussi, il sera muté à l’infirmerie jusqu’à sa libération en 1961.

De retour en Algérie, il reprend contact avec l’aspirant Smaïl Benaoudia à Akbou pour se mettre au service du FLN qui le charge de recueillir des fonds et de ravitailler les maquis de la région. Après la signature des Accords d’Evian, il a été chargé par l’ALN d’être le coordinateur du comité qui s’était substitué au Conseil municipal d’Akbou et dont la mission était de préparer le référendum du 1er juillet 1962.

A travers ce récit, Abdelmadjid Azzi donne au lecteur une idée de ce qu’a été la vie dans les maquis. Son expérience mouvementée et riche en événements est digne d’être portée à l’écran pour immortaliser par l’image l’épopée de l’ALN.
L. A.
Abdelmadjid Azzi,
Parcours d’un combattant de l’ALN,
Mille Feuilles Editions, Alger, 2010.



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Moussa




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MessageSujet: Re: Nécessité d'écrire l'histoire algérienne   Nécessité d'écrire l'histoire algérienne EmptyLun 5 Juil - 9:42

A l'occasion de la Fête nationale du 5 juillet le journal Le Soir d'Algérie a interrogé Mohamed Harbi, historien, sur nombre de questions préoccupantes de l'heure et portant notamment sur l'écriture de l'histoire.

L'interview a été conduite par Arezki Métref. La voici :
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L’Algérie est un pays frustré d’une expérience nationale populaire

Le Soir d’Algérie : Nous sommes le 5 juillet, anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie. Celle-ci devait survenir le 3 et non le 5 juillet 1962. Qui a pris la décision du report de deux jours et pourquoi?

Mohammed Harbi : Cette décision a émergé dans les conditions de la crise du FLN au cours de l’été 1962.

Rappelons le contexte en nous appuyant sur la chronologie des faits. Conformément aux accords d’Evian, le vote d’autodétermination eut lieu le 1er juillet.

Le président de la République française, le général de Gaulle, proclama le 3 juillet à 10h30 l’indépendance de l’Algérie pendant qu’à Alger le haut commissaire français Christian Fouchet transmettait ses pouvoirs à l’exécutif provisoire, seul organisme légalement reconnu par la France.

Ce même jour, c’est-à-dire le 3 juillet 1962, le GPRA, signataire des accords d’Evian, s’installe à Alger après avoir été accueilli par le colonel Mohand Oulhadj et le commandant Azzedine Zerari. Ben Bella et Khider ne sont pas rentrés avec leurs collègues du gouvernement et les chefs de la Wilaya IV n’étaient pas à l’aéroport pour recevoir le GPRA.

L’indépendance fut célébrée officiellement à Alger dans une atmosphère d’ivresse générale le 5 juillet et dura plusieurs jours. L’initiative revient au GPRA et à ses partisans.

Une cérémonie fut organisée à Sidi-Fredj, là où ont débarqué les troupes françaises. Le geste avait un caractère symbolique.

Pour l’historien soucieux de vérité, ni Ben Bella ni Khider n’étaient à ce moment présents en Algérie. Le 5, Ben Bella était au Caire.

Il est rentré en Algérie dans la nuit du 10 juillet en passant par Maghnia avant de se rendre à Tlemcen. Son gouvernement, formé le 20 septembre, a consacré le 5 juillet fête officielle.

La décision initiale ne lui appartenait pas. Opposant au GPRA, il ne l’avait pas contestée comme cela a été le cas pour d’autres initiatives. Il a considéré, comme l’ensemble de la résistance à cette époque, que le choix de la date du 5 juillet rachetait l’honneur de l’Algérie terni par la capitulation du dey et de la caste ottomane qui gouvernait le pays.

La seule forme de patriotisme, voire de nationalisme que l’on observe, à l’exclusion de toutes les autres, c’est aussi la plus superficielle : une sorte de ferveur confinant à l’irrationnel autour de l’équipe nationale de football.

Quels sont les éléments qui ont contribué à dévaluer une certaine fierté d’appartenir « au pays des martyrs » ?


L’engouement pour l’équipe de football m’apparaît à la fois comme l’expression d’un attachement au territoire et un moyen de sortir de l’enfermement et de retrouver cette atmosphère de communion collective, avec cette spécificité algérienne ; c’est que dans l’espace public, la société féminine en est massivement partie prenante.

Doit-on l’interpréter comme une dévaluation de la fierté d’appartenir au pays des martyrs ? je n’en suis pas sûr.

L’engouement pour le football et ses affinités avec les chauvinismes nationaux est devenu malheureusement un phénomène universel.

Vous êtes le premier historien à avoir démythifié le FLN en étudiant ses contradictions et ses dérapages. Y-a-t-il une filiation inéluctable entre le FLN qui a conduit à l’indépendance de l’Algérie et le système qui sévit depuis l’indépendance avec des variantes humaines et parfois politiques plus ou moins notables ?

Une observation préliminaire sur la première phrase de ta question. Mon travail est pétri de fidélité à la résistance et s’inscrit dans le débat qui se jouait au sein de la gauche révolutionnaire et dont l’objet est de rouvrir un avenir à la révolution.

C’est aussi une réaction contre les apologies qui masquaient l’émergence de nouveaux groupes sociaux, d’une lumpen bourgeoisie dont l’Etat est le producteur. La genèse de l’Etat algérien a, en gros, correspondu à ce que Gramsci qualifie dans ses travaux sur le Risorgimento de révolution passive, c’est-à-dire «une révolution conduite selon des modalités faisant obstacle à la formation d’une conscience populaire nationale, répandue et opérante». Dans cette problématique, les élites dirigeantes s’appuient sur le peuple mais sans que le peuple pèse sur les moyens et les objectifs du mouvement.

Cela dit, l’analyse de la trajectoire politique ne doit pas s’attacher exclusivement aux continuités comme on le fait trop souvent, hélas.

La mise en place du régime militaire s’est opérée au sein d’une société en pleine mutation, non pas figée dans ses cloisonnements mais traversée par des dynamiques riches et touchée par les dynamiques de la modernité. Les évolutions que nous connaissons n’étaient pas inéluctables. L’Algérie est un pays frustré d’une expérience nationale populaire. Le conflit avec la France a entraîné l’élimination ou la neutralisation de personnalités et de secteurs civils qui ont tenté de construire des espaces démocratiques dans les interstices laissées par le système colonial.

Des dirigeants du FLN ont essayé de construire des instances de représentation et de médiation entre la société et l’Etat en marche.

Les obstacles à leur entreprise ne sont pas seulement intérieurs, ils sont aussi extérieurs.

Cela ne nous empêche pas de chercher du côté des initiatives du FLN, de son recours après 1957 à des relations informelles aux dépens de l’institutionnalisation. C’est pourquoi la rupture au profit d’un monde plus moderne n’a pas pu se réaliser et qu’il y a eu retour de représentations et de pratiques de notre passé.

Depuis une dizaine d’années en France comme en Algérie, il y a un aiguisement de la guerre des mémoires autour de la colonisation et de la guerre d’indépendance. Ces polémiques sont-elles utiles et en quoi ? Pourquoi surgissent-elles 40 ans après les indépendances ?

La transformation des moyens de communication moderne a facilité l’intensification des flux d’informations, leur diffusion et leur captation par des Etats, des groupes politiques et des particuliers.

Les frontières du monde sont de moins en moins nationales. La singularité du judéocide avec toutes les revendications qui l’accompagnent est contestée. L’idée s’est imposée dans le Tiers- Monde principalement que toutes les victimes se valent et qu’elles méritent une égale attention et réparation.

Emergent alors les contentieux sur le passé colonial. Des conflits d’identification avec leur cortège : les usages politiques qu’on peut en faire dans les relations diplomatiques comme dans les enjeux politiques intérieurs.

La concurrence des victimes, la sélectivité de l’information, la guerre des mémoires, et j’en passe. Ces controverses sont-elles utiles ? Oui si elles ont pour finalité le rapprochement entre les peuples et la normalisation des rapports d’Etat à Etat. Non si leur objectif est de développer le chauvinisme pour masquer des contradictions internes et dresser dans ce but un peuple contre l’autre.

Personnellement, je pense que la situation coloniale n’a pas la simplicité que lui donnent les nationalistes chauvins des deux rives de la Méditerranée. La vision des rapports franco-algériens en blanc et noir évacue la complexité du phénomène colonial. Car les souffrances du peuple algérien et de la minorité de Français qui se sont rangés à ses côtés méritent mieux. N’avons-nous pas intérêt, au lieu de multiplier des discours qui nous masquent l’ennemi intime qu’il y a en nous, à jeter un regard froid sur la pensée décolonisée et à examiner avec courage les trois séquences de notre évolution, celles de la société précoloniale, de la société coloniale et de la société postcoloniale.

Le conflit entre historiens et politiques, avec à la clé l’indépendance de la recherche et une rupture entre histoire et politique, s’exacerbe. Sur quoi les historiens devraient-ils porter leurs efforts pour sortir de ces entraves ?

Tu poses une question d’actualité examinée d’une manière récurrente dans les congrès des historiens africains, confrontés au principe autoritaire dans leurs sociétés.

Le Camerounais Achille M’bembe, aujourd’hui professeur dans une université sud-africaine, leur a apporté une réponse que je fais mienne. «Il (l’Etat) prétend détenir la vérité au sujet de nommer le monde africain et son histoire, de le codifier, de découper l’espace, de l’unifier et de le diviser. L’Etat théologien, (…), c’est celui qui aspire explicitement à définir, pour les agents sociaux, la manière dont ils doivent se voir, s’interpréter et interpréter le monde.» Malgré tous les changements intervenus en Algérie, on en est toujours là. A quand donc le multipartisme ?

Quelle est la place des ouvrages écrits par des non-historiens (mémoires d’acteurs des événements, essais, romans inspirés de faits historiques, etc.) dans le récit sur le mouvement national et l’indépendance de l’Algérie ?

D’une manière générale, ces ouvrages ont un avantage, celui de rendre compte de tout l’éventail des itinéraires individuels tout en intégrant les témoignages des acteurs historiques qui ont servi de source aux travaux des historiens.

A leur lecture, on décèle un inconvénient : celui de diluer en un grand nombre d’itinéraires individuels tout ce spectre, sans que l’on puisse dégager de fil directeur dans ce foisonnement d’écrits, d’où la nécessité d’un recours aux sciences sociales pour esquisser une typologie, établir un classement, dater les faits, etc. d’où l’importance des archives.

Je trouve qu’on n’y accorde pas l’importance requise. Je me souviens lors d’un séminaire Oran, j’ai trouvé des chercheurs qui se réjouissaient de l’initiative prise par le défunt Ali Tounsi de détruire le fichier concernant des personnes sous prétexte que les renseignements qu’il contenait étaient calomnieux et mensongers. Je leur ai fait part de mon étonnement. Ce geste dont l’intention est sans doute louable créait un blanc dans l’étude de la construction de l’institution policière. Ils n’y avaient pas songé.

A quoi est due, aux yeux des jeunes, la délégitimation des combats de leurs aînés et le fait qu’en Algérie, l’histoire de la guerre de libération soit devenue davantage un «repoussoir» qu’une fierté, comme au Vietnam, par exemple ?

Je ne crois pas que le terme de repoussoir convienne pour caractériser le sentiment à l’égard de la résistance. Celle-ci a d’abord connu un processus de glorification mais au fur et à mesure que le passé s’éloigne, on assiste à un vacillement de la flamme chez les générations qui n’ont pas connu la colonisation et qui sont frappées par le cordon ombilical qui lie le pouvoir politique et les résistants bénéficiaires de privilèges.

Née d’un refus d’une domination étrangère, refus fondé sur l’honneur et l’éthique, la résistance est confondue dans ses sommets avec une nouvelle domination, arbitraire, arrogante et frappée d’autisme, autant de traits qui rappellent le passé aussi bien précolonial que colonial. La confusion entre privilège, enrichissement et résistance concerne une minorité. Il serait injuste de l’étendre à l’ensemble de la résistance. Ce que les jeunes condamnent, c’est la continuité de la domination.

Comment devrait-on enseigner l’Histoire à l’école algérienne ? Qu’en est-il aujourd’hui ?

Je reviendrai longuement sur ce sujet un autre jour. Dans l’immédiat, il me semble urgent de repenser le «roman national». Sur quelle vision de l’histoire doit-il reposer ? Celle d’une Algérie, accomplie définitivement en 1830, ou celle d’une Algérie arabo-berbère riche de sa diversité culturelle et ouverte sur l’avenir.

Pour repenser cette histoire, il faut déconstruire les schémas interprétatifs élaborés dans les années 1930. L’introduction de la berbérité dans la Constitution est une avancée incontestable. Il reste à en tirer toutes les conséquences pour donner sens à une Algérie aux racines multiples, berbères, arabes et africaines.

N’oublions pas nos compatriotes noirs et le racisme dont ils sont ici et là l’objet.

Quelles leçons l’historien que vous êtes peut-il tirer des polémiques actuelles en Algérie sur l’histoire de la guerre de libération ?

Elles ne s’appuient pas sur une analyse sociologique sérieuse du principe autoritaire et de la personnalisation de la relation politique. Par ailleurs, loin d’être un bloc, la révolution fut vécue différemment selon les groupes humains et les individus.

Elle fut variée selon les régions qui réagirent selon leurs structures et leur singularité. On a souvent occulté ce fait attentatoire au jacobinisme national par crainte de la vulnérabilité du pays. Il y eut aussi des massacres inutiles liés aux contradictions sociales et idéologiques de la révolution anticoloniale et à sa tendance à résoudre les problèmes par la répression. N’oublions donc pas que la révolution fut aussi une maîtresse de violence. Le peuple y fit son éducation politique indépendamment de toute liberté d’opinion.

La référence au principe n’empêchait pas la non-observance de son exercice. Malgré ses fautes et ses limites, on ne peut oublier qu’elle se situe à nos origines. Une nouvelle vision du passé, plus respectueuse des contradictions individuelles, sociales et idéologiques, nous rouvrirait sans aucun doute un avenir. Cette révision est indispensable pour en finir avec les outrances de ses détracteurs en France surtout, en Algérie aussi.
A. M.

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Nabila

Nabila


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MessageSujet: Re: Nécessité d'écrire l'histoire algérienne   Nécessité d'écrire l'histoire algérienne EmptyMer 28 Juil - 18:29

Sélim Saâdi, général à la retraite, et ancien officier du MALG, publie aujourd'hui, dans El-Watan, un témoignage, le sien, que voici, sur la lutte de libération nationale.
En le lisant, on croit rêver, comme beaucoup d'autres de son camp, à une possible victoire militaire de l'ALN sur l'armée française. Le général feint simplement d'oublier qu'à l'époque en cause les vraies forces combattantes sur le terrain - et non dans l'abri douillet se situant au-delà des frontières - n'avaient plus ni armes ni munitions ni hommes pour poursuivre la lutte. Et ce général, exhibant des pièces d'artillerie qui eussent certainement été d'un meilleur effet entre les mains des vrais combattants, fait vraiment rire... Au fond, c'est peut-être aussi cela l'autre grande faiblesse des généraux ventripotents algériens incapables de venir à bout de quelques dizaines et au pire de quelques centaines de terroristes islamistes...

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Témoignage sur la lutte de Libération nationale (1er partie)

par Sélim Saâdi

Appui armé des combattants de l’ALN aux négociateurs du GPRA lors de la rencontre algéro-française de Lugrin (du 20 au 28 juillet 1961).

Rappel du contexte

Nous sommes en été 1961, après la suspension de la première rencontre algéro-française d’Evian I qui a lieu du 20 mai au 13 juin 1961, dont la cause était l’exclusion par la partie française du Sahara (soit plus 80% du territoire national) dont elle voulait garder les richesses du sol et du sous-sol et l’intransigeance de la partie algérienne quant à l’intégrité du territoire national, il fut décidé d’un commun accord la reprise des négociations qui, cette fois, auront lieu à Lugrin et s’étendront du 20 au 28 juillet 1961. Avant d’évoquer l’action militaire à laquelle j’ai participé et qui se déroula durant le face-à-face diplomatique de Lugrin, une brève rétrospective s’impose pour mieux éclairer le lecteur.

L’action armée au service du but politique

La proclamation du 1er Novembre 1954 faite au nom du Front de Libération Nationale avait clairement défini le but politique de la lutte et fait de l’Armée de Libération Nationale le principal instrument de cette lutte. Jusqu’en 1958, l’ALN, grâce aux énormes sacrifices qu’elle a consentis, n’avait cessé de monter en puissance. Durant cette même période, on assista également à un redéploiement sans précédent des forces ennemies. Le potentiel militaire, économique et démographique auquel l’ALN était confronté était celui de la quatrième puissance mondiale. La détermination française s’exprima par le rappel de plusieurs classes de réservistes, le transfert sur l’Algérie du corps expéditionnaire d’Indochine, ainsi que l’engagement des forces qui étaient jusqu’en 1956 en Tunisie et au Maroc. A toute cette mobilisation venaient s’ajouter des moyens auxiliaires (milices recrutées dans les rangs des Européens d’Algérie, ainsi que des dizaines de milliers de mercenaires autochtones, harkis ou goumiers). Pour isoler les combattants des Wilayas de l’intérieur de leurs bases logistiques situées chez nos voisins, l’ennemi érigea le long des bandes frontalières Est et Ouest des lignes fortifiées sur lesquelles il déploya d’énormes moyens humains et matériels.

Les méthodes de la lutte antiguérilla mises en œuvre par les Français passèrent rapidement des « ratissages » engageant des forces territoriales, sur des aires géographiques et sur une période relativement limitées, à des actions de plus grande ampleur engageant de puissantes forces de réserve qu’il concentrait sur chaque Wilaya sur de longues périodes, fouillant le moindre buisson à la recherche de nos combattants, ne leur laissant aucun répit pour reprendre leur souffle. Ces grandes opérations, qui furent baptisées des noms de Challe, Etincelles, Jumelles, Emeraudes, Pierres précieuses, Marathon, etc., s’exercèrent sans relâche sur nos combattants et soumirent nos populations aux pires exactions. Elles étaient accompagnées par des regroupements massifs de nos paysans dans des camps dans le but de couper le lien ombilical les reliant aux combattants. On vida de ce fait les campagnes de leurs habitants en constituant des zones interdites où l’aviation avait pour mission de tirer sur tout ce qui bougeait, y compris les animaux domestiques. Parqués hâtivement et sans état d’âme dans ces camps appelés pudiquement de regroupement, privés du jour au lendemain de leurs moyens de subsistance, bon nombre d’entre eux périrent de famine. Comme en témoigne Michel Rocard, qui fut chargé à l’époque par les autorités françaises d’enquêter à ce sujet. Il a confirmé les faits lors d’une émission en 2009 sur la chaîne « Histoire », estimant qu’il y a eu de graves négligences dans la prise en charge du ravitaillement de ces populations par les autorités concernées.

Toutes ces actions répressives n’ont pas été sans affaiblir le potentiel de lutte de nos combattants de l’intérieur, notamment dans certaines zones. La mise en place des barrages aux frontières dont le franchissement devenait de plus en plus difficile a fait que des milliers de combattants provenant des Wilayas de l’intérieur, de la communauté algérienne vivant à l’étranger (France, Maroc, Tunisie essentiellement) se sont trouvés massés à l’extérieur des frontières Ouest et Est, attendant l’opportunité de passer à l’intérieur. Le commandement a, tout au long des années 1957 et 1958, tenté des franchissements avec de gros effectifs, la grande bataille de Souk Ahras d’avril 1958, et l’opération « Amirouche » de novembre 1959 à laquelle j’ai moi-même participé en tant que jeune chef de bataillon sont les pics marquants de ces tentatives.

Toutes deux n’ont pu atteindre leurs objectifs, à savoir l’envoi de renforts conséquents d’hommes et d’équipements aux Wilayas qui en avaient tant besoin et se sont soldées, la première, par de lourdes pertes après des combats héroïques, et la seconde fut stoppée net par l’ennemi qui, renseigné au préalable, avait déployé d’énormes moyens pour la contrer (j’aurais l’occasion, si Dieu me prête vie, de la relater ultérieurement). Il ne restait plus au commandement que de revenir aux infiltrations de petits détachements qui parvenaient non sans peine à destination. Aussi, le commandement se devait de prendre en charge ces combattants tant au plan logistique que de leur emploi. Avec la création du GPRA, en septembre 1958, et la nomination des ministres des Forces armées, de l’Armement et du ravitaillement et des renseignements et liaison, on marqua la volonté d’une meilleure prise en charge de la conduite de la lutte armée sous ces différents aspects. En parallèle furent désignés deux chefs d’état-major, l’un pour la partie Est (Colonel Mohammed Saïd, dit Si Nacer) et l’autre à l’Ouest (Colonel Boumèdiene).

Un premier effort de valorisation du potentiel militaire fut entrepris grâce à l’arrivée de dizaines d’officiers venant de l’armée française (dont certains apportaient l’expérience de leur participation au dernier conflit mondial et celui de l’Indochine) ainsi que de ceux sortis des écoles du Moyen- Orient à partir du deuxième semestre de l’année 1958. Ils fournirent l’encadrement des écoles et centres d’instruction et ont servi dans les structures tant logistiques qu’opérationnelles ainsi que dans certains ministères engagés dans l’effort de guerre. Cet effort s’amplifia durant toute l’année 1959 où des milliers d’hommes furent formés et intégrés, toutes origines confondues, à de nouvelles unités constituées sur des bases modernes. Cet amalgame renforça l’esprit national. Mais c’est avec la nomination d’un état-major général dirigé par le colonel Boumédiene, assisté de trois adjoints à partir du début de l’année 1960 qu’allait se constituer progressivement un puissant appareil de combat avec lequel l’ennemi (qui considérait être proche de la victoire militaire) devait désormais compter. C’est à partir de ce moment qu’on assista à une montée en puissance de ces forces devenues de plus en plus nombreuses grâce à l’apport humain venu de toutes parts, de mieux en mieux organisées, aguerries, entraînées, équipées et soutenues.

Elles purent mener des actions permanentes contre le dispositif ennemi déployé aux frontières, en combinant actions décentralisées du style guérilla, relevant des échelons subalternes, aux grandes attaques généralisées décidées par l’échelon supérieur. Elles constituaient pour l’ennemi un abcès de fixation qui l’amena à mobiliser de plus en plus de moyens, ce qui allégea quelque peu sa forte pression sur les Wilays de l’intérieur. Pour permettre aux représentants de la partie algérienne de négocier en position de force, l’état-major général décida d’intensifier les actions militaires sur l’ensemble des frontières. C’est ainsi que les missions furent réparties sur les forces des zones opérationnelles Nord et Sud, lesquelles les répartirent à leur tour sur des sous-zones dont le commandement était confié aux adjoints des commandants de zone.

Appui militaire aux négociations politiques lors de la rencontre de Lugrin (du 22 au 28 juillet 1961

Je faisais partie d’une sous-zone placée sous les ordres du capitaine Mohamed-Ben Ahmed Abdelghani laquelle comprenait essentiellement, outre mon bataillon (19e), le 39e bataillon (Abderazak Bouhara), le 10e bataillon (Abdelkader Kara) et la 3e compagnie lourde zonale (équivalent du bataillon disposant des armes lourdes) de Si Abdelmalek Guenaïzia. Ce dernier, à l’époque, en stage d’artillerie en Tchécoslovaquie, le commandement par intérim était assuré par son adjoint Abdelmajid Boutouil. Nous reçûmes en renfort, outre la 5e CLZ de Si Mokhtar Kerkeb, une batterie d’une vingtaine de mortiers de fabrication artisanale appelé LTZ (initiales de trois hauts responsables tombés au champ d’honneur) arme d’un calibre d’environ 200 mm conçue pour lancer sur courte distance (200 à 300 m) une sorte de grosse grenade contenant une dizaine de kg d’explosifs. Les servants de ces armes, qui avaient reçu une formation sur leur emploi, étaient tous de jeunes recrues venant d’un centre d’instruction et qui allaient subir leur premier baptême de feu.

Description du dispositif ennemi de la sous-zone opérationnelle

Entre la ligne fortifiée à hauteur de Souk Ahras et la frontière algéro-tunisienne à hauteur de la localité de Sakiet Sidi Youcef (connue pour avoir été sauvagement bombardée par l’aviation française début février 1958), l’ennemi disposait de quatre postes avancés qui portaient le nom du « 28 », de Bourenane, d’El Gouard et d’El Hamri (ou Bordj M’Raou). Ces postes étaient situés dans un espace leur permettant d’être à portée d’artillerie les un des autres pour se couvrir mutuellement lors de nos attaques. Celles-ci n’avaient pas cessé depuis leur implantation, et j’ai eu l’occasion d’évoquer dans un article paru en novembre 2000 dans les journaux Le Matin et El Khabar, la prise d’assaut par mon bataillon (19e) de la partie du poste d’El Hamri qui m’était affecté dans la nuit du 27 au 28 novembre 1960, que nous avons investi, capturé des prisonniers et récupéré des armes. J’ai été moi-même blessé grièvement à l’abdomen au cours de l’assaut.

Intentions du commandement de la sous-zone

Il s’agissait de rééditer, à peu de chose près, l’action du 28 novembre 1960 qui avait concerné les quatre (04) postes précités, mais le poste d’El Hamri n’était plus l’objectif principal (à investir) et les trois (03) autres à neutraliser. Il a été décidé de faire cette fois du poste d’El Gouard, l’objectif principal (à investir) et les trois autres à neutraliser.

La mission d’assaut était encore une fois confiée à mon bataillon (19e) appuyé en grande partie par la 3e et 5e CLZ et de la batterie des 20 LTZ, tandis que la neutralisation des autres postes revenait aux 10e et 39e bataillons partiellement appuyés par les deux CLZ. L’opération devait se dérouler en deux phases. La première consistait à tester le dispositif ennemi et mesurer la capacité de nos unités chargées des missions secondaires à neutraliser, même momentanément, l’artillerie des postes ennemis qui leur étaient affectés en réaction au puissant harcèlement de l’objectif principal par des éléments du 19e bataillon et de deux CLZ. On devait saisir cette occasion pour effectuer des tirs de réglage de quelques pièces de mortier à partir d’une position choisie pour l’attaque principale. Les LTZ ne devaient se manifester que lors de cette dernière.

Caractéristiques du poste d’El Gouard (objectif principal)

Situé à quelques dizaines de mètres des frontières algéro-tunisiennes, ce poste avancé qui avait déjà résisté à de nombreuses attaques des forces de l’ALN des années durant, se présentait comme une forteresse entourée de hautes murailles surmontées de blockhaus bétonnés abritant des mitrailleuses lourdes et hissées de miradors pourvus de projecteurs, qui à la moindre alerte balayaient de leur feu tout le terrain environnant. Il disposait à l’intérieur d’armes lourdes, notamment des mortiers de divers calibres. Il était donc à l’épreuve de la panoplie d’armes qu’on avait utilisées jusque-là contre lui. Il était entouré de plusieurs lignes de barbelés truffées de mines explosives, bondissantes et éclairantes. Il disposait d’une seule entrée comportant des portes blindées séparées par des sas. Ainsi, sa pénétration ne pouvait avoir lieu qu’à travers cette entrée en faisant sauter les portes à l’aide de puissantes charges d’explosifs. Tel n’avait pas été le cas du poste d’El Hamri que mon bataillon avait réussi à investir (dans la partie qui lui revenait) parce qu’il était situé sur un mamelon hérissé de blockhaus entourés de barbelés et de champs de mines à travers lesquels nous pûmes effectuer des brèches à l’aide de bangalores (tubes en plastique de plusieurs mètres bourrés d’explosif) et détruire les blockhaus avec nos bazookas (lance-roquettes anti-chars). Ceci donne une idée sur la complexité de cette nouvelle mission et des énormes risques auxquels on allait s’exposer au regard des infimes chances de réussite.

Jour J : opération destinée à tester la réaction du dispositif ennemi

Comme convenu, le harcèlement du poste d’El Gouard par des éléments de mon bataillon ne devait débuter qu’une fois l’achèvement de la mise en place du dispositif des troupes amies chargées du harcèlement des trois (03) postes ennemis, soit vers 21h00. Mes hommes déclenchèrent leur action comme prévu à l’aide de petits groupes armés de mortiers légers, de lance-roquettes antichars et d’armes automatiques légères pour les rendre moins vulnérables aux tirs ennemis. De loin, nous parvenaient des bruits d’échanges de coups de feu. La réaction de l’ennemi ne tarda pas à se produire. D’abord, nos éléments furent soumis à un tir nourri des mitrailleuses nichées dans les blockhaus, puis des mortiers légers, puis subirent un déluge de feu d’artillerie lourde venant des postes voisins. Nous ne nous attendions pas à la riposte immédiate de cette dernière, pensant qu’elle allait être neutralisée par l’attaque de nos unités ne serait-ce que durant une dizaine de minutes en étant bien conscients de la disproportion des forces en présence. Leur mission de harcèlement correctement remplie, mes hommes réussirent à décrocher en bon ordre. Les comptes rendus des trois chefs de compagnie qui me parvinrent durant la nuit ne me signalèrent aucune perte dans nos rangs. Ce fut la seule bonne nouvelle de cette nuit, préoccupé comme j’étais par notre impuissance à museler l’artillerie lourde ennemie même durant quelques minutes.

Briefing de la matinée de J + 1

Comme prévu, le capitaine Mohamed Ben-Ahmed Abdelghani (futur ministre de l’Intérieur de l’Algérie indépendante) présida dans l’après-midi du lendemain du jour J une mission pour écouter les comptes rendus des chefs de bataillon, tirer des enseignements des actions entreprises et décider des dispositions à prendre pour les actions futures.A cette occasion, j’ai appris que l’unité qui devait harceler le poste qui se trouvait non loin de celui qui m’avait été affecté n’avait pas réussi à déployer son dispositif d’attaque suite, selon leur dires, au signalement par leurs patrouilles de reconnaissance de la présence de forces ennemies placées en embuscade sur leurs axes de progression. Quant aux autres unités, elles avaient bien soumis leurs objectifs à leurs actions de harcèlement, mais n’avaient pas réussi à museler l’artillerie. J’imputais cela, au fond de moi-même, à l’insuffisance de préparation mais surtout à la disproportion flagrante des moyens mis en œuvre de part et d’autre.

Quoi qu’il en soit et malgré ces graves lacunes, le capitaine Abdelghani insistait à maintenir, comme prévu initialement la prise d’assaut du poste d’El Gouard, moyennant quelques correctifs dans l’exécution des actions secondaires. La mission principale revenant à mon bataillon, appuyé en grande partie par les deux CLZ, j’ai rappelé au cours du débat qui ne manqua pas d’être houleux et néanmoins fraternel, la disproportion flagrante entre le risque et l’enjeu. J’insistais sur le fait qu’on allait exposer nos hommes à subir d’énormes pertes sans disposer de la moindre chance d’investir le poste. D’autant que la neutralisation de l’artillerie ennemie s’avérait hypothétique. Je lui proposais alors de remplacer l’assaut par une série de puissantes attaques espacées dans le temps avec une panoplie d’armes non négligeable pour faire subir le maximum de pertes à l’ennemi tout en minimisant les nôtres. Finalement, ce mode d’action, soutenu par mes autres collègues, emporta l’adhésion du capitaine Abdelghani qui fut sensible à l’argument du coût humain et fit preuve à cette occasion d’une grande sagesse. L’action principale devait se dérouler en quatre vagues : première vague : 21h00, bombardement du poste avec une vingtaine de LTZ ; deuxième vague : 22h00, attaque des blockhaus avec une douzaine de canons sans recul (CSR), 57 mm ; troisième vague : 24h00, attaque des blockhaus avec une douzaine de CSR, 75 mm ; Quatrième vague : 0h30, bombardement du poste avec une douzaine de mortiers 81 mm avec utilisation d’obus de grande capacité (produisant le même effet que l’obusier de 105 mm). Toutes ces actions devaient avoir lieu sous la protection de nos sections de voltigeurs tout au long de leur déroulement. Les autres bataillons chargés des actions secondaires devaient effectuer leurs premiers harcèlements dès le déclenchement du bombardement de l’objectif principal et tenter de poursuivre des harcèlements sporadiques aussi longtemps que possible. Tandis que les éléments chargés de la sûreté lointaine (installation de bouchons de mines et embuscades sur des axes d’interventions éventuelles de l’ennemi) ne devaient commencer leur décrochage qu’à partir de 1h30 du matin pour s’assurer du repli général de nos troupes. Il fut décidé de mettre en œuvre ce plan opérationnel dans 4 jours.

Les détachements affectés à chaque phase se constituèrent, leurs chefs furent désignés et les modalités de leur mise en place furent fixées. Nous nous consacrâmes, Si Mokhtar Kerkeb, commandant la 5e CLZ et moi (puisque nos unités allaient agir ensemble), à faire des tournées auprès de nos troupes pour nous assurer qu’elles étaient bien imprégnées de leur mission et que leur moral était au plus haut. Nous avions remarqué la veille de cette grande opération qu’un de mes adjoints, Si Moussa Hamadache, souffrait d’une sérieuse inflammation de l’œil. Compte tenu de son état, nous lui fîmes remarquer qu’il était dans l’impossibilité de participer à cette action. Il nous rétorqua sur un air désinvolte que son mal était passager et que le lendemain tout allait rentrer dans l’ordre. Et il ajouta que l’on ne pouvait le priver de l’honneur de participer à un pareil événement qui lui rappelait sa brillante participation, l’année précédente, à la prise d’assaut du poste d’El Hamri avec les résultats que l’on sait. Quoi qu’il en soit, je lui ai laissé entendre qu’il devait considérer cela comme un ordre, tout en essayant de ménager son amour-propre. C’était le temps où il y avait des hommes qui revendiquaient le droit d’affronter la mort.

Déroulement de l’opération

A la tombée de la nuit, nous nous portâmes, le commandant de la 5e CLZ et moi-même vers l’emplacement où était installé le PC du capitaine Abdelghani. Nous y rencontrâmes un certain nombre de moudjahidine parmi lesquels se trouvaient des responsables qui venaient de la Wilaya V, et une équipe de jeunes opérateurs radio (j’ai appris, quelques années après l’indépendance, de la bouche même de l’intéressé, que parmi ces combattants se trouvait l’actuel général Mohamed-Toufik Mediene). Quelque temps après, nous eûmes la surprise de voir arriver le docteur Franz Fanon. Nous étions loin d’imaginer rencontrer le grand militant des causes justes en un tel endroit.

Première vague, 21h00 :

Les premières salves de ces fameux LTZ (sorte de mortier artisanal) déchirèrent le silence et les ténèbres de cette première nuit, suivies de fortes explosions qui jaillirent de l’intérieur du poste. Puis, ce fut le crépitement des armes automatiques dont les tirs se croisaient, de plus en plus nourris, entre les positions adverses. Quelque temps après, ce fut le tour de grosses explosions d’artillerie dont les flammes formaient une ceinture de feu autour du poste. Très vite, on assiste à un déluge de feu et un vacarme assourdissant, sorte d’orchestre infernal au sein duquel chaque membre exécutait sa partition macabre. Bientôt, au milieu de ce vacarme épouvantable, on vit s’élever du poste une épaisse colonne de fumée traversée par intermittence de flammes. Un incendie s’était déclaré au sein du poste et son développement continu laissait supposer que ses occupants avaient du mal à le maîtriser. Tout près de nous, le poste d’écoute qui s’était mis sur la fréquence du réseau radio ennemi pour suivre des communications en clair, saisit un passage émanant du poste ennemi : une voix qualifiant les obus qui s’abattaient sur eux de “bombes soufflantes”. En effet, ces projectiles se différenciaient nettement des obus de mortier qu’on utilisait habituellement, ce qui explique la perplexité de l’ennemi à identifier l’arme employée.

Tandis que les tirs de l’artillerie ennemis se poursuivaient tant autour du poste que dans les profondeurs, notamment sur les axes de repli que nos troupes étaient supposées emprunter pour rejoindre leurs bases, le crépitement des armes automatiques diminua progressivement. Quelques rafales de mitrailleuses lourdes partaient sporadiquement des blockhaus ennemis, continuant à balayer nos positions d’attaque, déjà évacuées en quelques minutes par nos troupes. Sachant à l’avance que l’action de nos troupes allait se dérouler en terrain peu accidenté, à partir pratiquement de la clôture de barbelés du poste, compte tenu de la faible portée de nos LTZ, il fallait la mener d’une manière brève et brutale, puis pour ne pas donner prise aux tirs ennemis, s’évanouir dans la nature par petits paquets et dans plusieurs directions. Les consignes étaient strictes quant au ramassage des blessés et des morts qu’il fallait à tout prix diriger sur les postes de secours implantés en conséquence. A ce moment, nous vîmes passer à proximité du PC un petit groupe de combattants qui venaient de participer à cette action et l’un d’eux soutenu par deux de ses camarades avait le visage noirci par ce qui semblait être une brûlure. Nous apprîmes qu’il avait été touché par inadvertance par la flamme provoquée par le départ de l’obus de son LTZ. Le Dr Fanon, qui était présent, se porta vers le blessé et fit le geste de lui enfoncer les doigts dans les yeux. La réaction du blessé se traduit instantanément par un recul de la tête, ce qui fit comprendre que sa vue n’avait pas été atteinte par la brûlure. C’est alors qu’il lui tapota amicalement l’épaule et lui dit en souriant : “Tu t’en es bien sorti, va maintenant te faire soigner pour tes brûlures”, en l’assurant qu’elles étaient superficielles " Bientôt, les tirs des armes automatiques se turent et seules quelques explosions d’artillerie déchiraient ça et là le silence de la nuit, y compris des détonations plus lointaines qui nous parvenaient des postes voisins que les autres unités avaient soumis à leurs harcèlements. Pendant ce temps se mettait en place le dispositif d’attaque de la deuxième vague. Des colonnes de fumée et des lueurs de feu continuaient à s’élever du poste.

Deuxième vague : 22h00

Déclenchement des tirs de canons 57 mm S/R qui frappèrent de plein fouet les blockhaus ennemis qui furent simultanément soumis aux tirs de nos armes automatiques pour assurer la couverture de nos canons facilement repérables. Nos combattants devaient coller au plus près du poste de telle sorte à échapper pendant l’attaque à l’artillerie de l’ennemi qui devait, pour des raisons de sécurité, observer une certaine distance par rapport aux positions de ses troupes. Les blockhaus qui se distinguaient nettement du haut de la muraille du poste, notamment durant les tirs de leurs mitrailleuses, étaient soumis à de puissants matraquages de nos canons, dont on pouvait remarquer les impacts à chaque explosion de leurs roquettes. L’artillerie ennemie redoubla de férocité en balayant tous les environs du poste, débordant largement sur le territoire tunisien où les habitants des campagnes à portée de canon s’enfuyaient de leurs lieux d’habitation dès qu’ils entendaient au loin des grosses détonations qui pouvaient être le prélude à leur propre bombardement. Tandis que les tirs directs allaient en diminuant, un nuage de fumée auquel se mêlaient des flammes continuait à s’élever du poste. On supposait que les hommes qui s’étaient chargés d’éteindre le feu durent se mettre à l’abri lors de la deuxième attaque, ce qui raviva davantage l’incendie. L’écoute des conversations radio de l’ennemi faisait ressentir le climat de panique qui régnait à l’intérieur du poste. Puis, comme après la première attaque, les armes légères et semi-lourdes se turent à nouveau et seules des explosions d’artillerie continuaient à s’abattre ça et là, tentant probablement d’atteindre nos combattants. Pour faire croire à l’ennemi qu’il s’agissait de la dernière attaque et disposer d’un peu plus de temps pour le lancement de la troisième vague, qui allait mettre en action des armes plus lourdes, nous nous accordâmes un délai de presque deux heures entre le décrochage de la deuxième vague et la mise en place du dispositif d’attaque de la 3e vague.

Troisième vague : 00h00

Entrée en action des canons de 75 mm S/R des deux CLZ. Tandis que l’incendie du poste n’était pas encore maîtrisé puisque une épaisse fumée continuait d’y échapper, nos canonniers accompagnés de groupes de protection déclenchèrent à l’unisson leurs tirs sur les blockhaus qui subissaient à nouveau un violent matraquage, mais cette fois avec des armes plus puissantes compte tenu de la plus grande portée de ces armes et de la visibilité des cibles que l’incendie éclairait. Les hommes purent mieux choisir leur position de tir en fonction de la topographie des lieux en tentant d’obtenir un maximum d’efficacité tout en réduisant leur vulnérabilité. Ceci, d’autant qu’il fallait également éviter d’utiliser les mêmes positions que les vagues précédentes déjà repérés par l’ennemi.

Celui-ci, à travers ses communications radio manifestait de plus en plus son inquiétude, persuadé que la puissante attaque qui se déroulait constituait une préparation de feu qui allait être suivie d’un assaut final. Ce dernier donc était attendu d’un moment à l’autre. Cette impression se vérifia par le survol des lieux de combat d’avions “B26” qui larguèrent à tour de rôle des lucioles (fusées) qui en descendant lentement du ciel éclairaient toute la contrée, comme si on assistait au lever du jour. Tandis que leur ronde se poursuivait, on nous signala un mouvement de colonnes blindées venant des postes implantés sur les barrages électrifiés. Elles avançaient prudemment par petits bonds sachant qu’elles pouvaient à tout instant sauter sur une mine et tomber dans une embuscade. Cette manœuvre semblait plus viser à rassurer les occupants du poste ravagé par l’incendie, qui vivaient dans l’espoir d’être secourus, que constituer une menace réelle pour nos troupes. Sur le chemin qui nous conduisait, Si Mokhtar Kerkeb et moi, vers les positions où nous devions mettre en batterie les mortiers du bataillon et ceux de la 5e CLZ pour exécuter la 4e vague prévue à 0h30, nous croisâmes un groupe de djounoud qui faisaient partie de la vague des canons 75 S/RT, qui transportaient un corps sur une civière. Quelle fut notre surprise d’apprendre que ce corps était celui de mon adjoint Si Moussa Hamadache, qui avait rendu l’âme au cours de la dernière attaque. Alors qu’il dirigeait, nous dit-on, un groupe de canons 75 S/R, il avait reçu une rafale de mitrailleuse lourde en pleine poitrine. Sous l’éclairage des lucioles qui continuaient à être larguées par les B26, je pus voir le visage serein d’un homme portant un pansement à l’œil et qui semblait dormir paisiblement. Et dire que la veille je lui avais recommandé avec insistance de ne pas participer à cette action. Il venait de compléter la longue liste des martyrs de notre unité et ceux de notre révolution. Nous reprîmes peu après le chemin qui nous conduisait vers nos positions, installâmes nos mortiers et procédâmes à leur réglage sur le poste ciblé qui apparaissait nettement à la lumière des lucioles et de l’incendie qui continuait à sévir. Il ne restait plus qu’à attendre l’heure fixée.

Quatrième vague : 00h30

Entrée en action des mortiers 81 mm. A l’heure prévue, les 12 mortiers ouvrirent le feu, chacun tirant une quinzaine d’obus dits “de grande capacité”. En l’espace de 3 minutes, ce fut un déluge de feu qui s’abattit sur le poste. Le lieu ressemblait au cratère d’un volcan en pleine éruption. Aussitôt après, l’incendie reprit de plus belle et c’est carrément d’énormes flammes qui s’élevèrent dans le ciel. Une fois la mission accomplie, les armes furent démontées et nous nous repliâmes rapidement avant la riposte ennemie. Celle-ci ne tarda pas à se manifester, ciblant les positions que nous venions de quitter avec une rare violence. Cette concentration de tirs d’artillerie se voulait être la réplique à ce que nous venions de leur faire subir. Notre avantage sur l’ennemi résidait dans notre extrême mobilité, alors que lui était dans une cage certes très fortifiée mais dont il était prisonnier. Sur notre chemin de repli, nous rencontrâmes un groupe faisant partie de la vague de canons 75 S/R qui accompagnaient des blessés dont un était porté sur le dos de l’un d’entre eux. Extenués par les efforts qu’ils venaient de faire, en se relayant pour porter le blessé, ils déposèrent un moment leur lourd fardeau pour reprendre leur souffle. M’approchant de lui, accompagné toujours du commandant de la 5e CLZ (Kerkeb), je m’aperçus que c’était un de mes chefs de section d’armes lourdes qui, atteint par un projectile dans la colonne vertébrale, n’avait plus l’usage de ses membres inférieurs. Conscient du fardeau qu’il présentait pour ses camarades qui étaient à bout de force, il les exhortait à le cacher dans un buisson et à poursuivre leur chemin avec les autres blessés qui eux, à ses yeux, avaient plus de chance de s’en sortir. Je leur ordonnai de le hisser sur mon dos et en nous relayant avec Mokhtar Kerkeb, sous le pilonnage incessant de l’artillerie ennemie, nous parvînmes, exténués, à notre tour jusqu’au poste de secours de la frontière où il fut pris en charge.

Il devait être 2h du matin environ, alors que nous marchions Si Mokhtar et moi, le long de la route qui longeait le frontière algérienne, légèrement au nord de la localité tunisienne de Sakiet Sidi Youcef, nous vîmes s’arrêter un véhicule roulant tous feux éteints. “Alors, nous dit un des passagers, tout va bien ?” Nous reconnûmes la voix du colonel Boumediène qui nous avait également reconnu (puisqu’il connaissait personnellement tous les chefs d’unité de combat et souvent même leurs adjoints). Poursuivant : “L’opération s’est-elle bien passée ?” Il avait suivi de quelque part son déroulement et, probablement, était fortement impressionné par la violence des combats et la vue de ces lucioles que larguaient sans cesse les avions B26 sur le champ de bataille et les lueurs d’incendie du poste qu’on voyait de très loin. Tout cela présentait un spectacle qui rappelait quelque peu certaines scènes du dernier conflit mondial. Nous lui répondîmes que toutes les modalités de l’opération ont été exécutées et que l’objectif principal qu’on s’était fixé, à savoir infliger le maximum de pertes à l’ennemi, semble avoir été atteint, comme on pouvait le voir sous nos yeux. Quant à nos pertes, nous sommes en train de rejoindre nos troupes et le bilan définitif sera connu dans la matinée. Sur ce, nous nous séparâmes non sans avoir remarqué sur son visage souriant un air de satisfaction.

Malheureusement, vers 3h du matin, au moment où les éléments du 19e bataillon et de la 5e CLZ se regroupaient sur la piste pour faire mouvement vers leur secteur d’origine, ils furent surpris par un bombardement de l’artillerie ennemie qui nous causa quelques pertes. Arrivé sur les lieux de notre implantation habituelle, nous pûmes établir un bilan de nos pertes qui, n’eut été le dernier bombardement surprise, auraient été réduites eu égard au volume des forces engagées et à l’ampleur de l’opération. Quant aux pertes de l’ennemi, elles ont dû être lourdes, notamment sur l’objectif principal, puisque en plus des gros dégâts matériels dus notamment à l’incendie provoqué par nos bombardements, on a pu les mesurer dès le lever du jour à travers l’arrivée des colonnes de secours et les nombreuses rotations d’hélicoptères chargés entre autres de l’évacuation des blessés. Enfin, le signe le plus patent de l’effet de notre opération fut l’évacuation définitive, deux à trois mois après, du poste et sa destruction par l’ennemi. Conséquences politiques de l’action militaire, notamment lors des négociations de Lugrin (20 au 28 juillet 1961) Comme je l’ai évoqué au départ, l’action miliaire de l’ALN et de nos fidayïne en France n’avait pas d’autre but que politique. Comme le disait le célèbre stratège allemand (Von Clausewitz) du XIXe siècle dans son livre De la guerre, “celle-ci est la continuité de la politique par d’autres moyens”.

Il faut rappeler aux jeunes générations que la puissance coloniale qui avait utilisé tous les moyens pour garder l’Algérie française ne dut se résoudre à prendre langue sérieusement avec son adversaire, longtemps affublé de tous les noms les plus méprisants (fellagha, hors-la-loi, terroriste, criminel, bandit, etc.) qu’une fois convaincue que la solution militaire était impossible, puisque le peuple était résolu à la poursuivre quel qu’en soit le prix et la durée (l’action qu’on vient d’évoquer en est si besoin la preuve). Il ne restait plus que la solution politique qui ne pouvait être que le fruit de négociations entre les deux parties. Et c’est dans cette optique que fut décidée la rencontre dite de Lugrin qui devait durer du 20 au 28 juillet 1961. C’est à cette occasion, et bien avant, que furent lancées ces grandes opérations pour conforter nos négociateurs. Pourtant, la partie française a, à cette occasion, décrété un cessez-le-feu unilatéral dans le but de nous amener à en faire autant. Nous nous sommes bien gardés à ne pas rentrer dans ce jeu, en lui signifiant, à travers la poursuite des actions militaires : pas d’arrêt des combats tant que nous n’avions pas atteint le but fixé par la proclamation du 1er Novembre, à savoir l’indépendance du pays. Il ne fait pas de doute que les forces combattantes dont disposait l’ALN, notamment aux frontières, soit une trentaine de bataillons à l’Est et une dizaine à l’Ouest auxquelles s’ajoutait un système logistique performant, ont constitué incontestablement un appui non négligeable à l’action politique, qui a été elle-même menée de manière remarquable et ce, en dépit du différend qui opposa, à partir de l’année 1961, l’état-major général au GPRA. La crise qui régnait entre les deux parties n’avaient en rien entamé notre ardeur au combat qui fut mené avec abnégation jusqu’à son terme.

Conclusion

Il faut donc rendre un hommage unanime à tous ceux qui ont participé à cette grande épopée sur tous les fronts, avec une mention particulière à ceux qui versèrent leur sang, endurèrent les pires souffrances, et consentirent le sacrifice suprême. Il y a ceux qui restèrent handicapés à vie, parmi lesquels ce brave chef de section gravement blessé, que nous avons Si Mokhtar Kerkeb et moi porté tour à tour sur nos épaules lors de cette bataille, et que j’ai eu le bonheur de revoir après l’indépendance, certes dans un fauteuil roulant et qui malgré son invalidité respirait la joie de (sur) vivre. Je voudrais enfin associer à mes pensées le regretté docteur Mohammed Seghir Naccache qui vient de nous quitter récemment, qui, en tant que directeur de la santé militaire aux frontières Est, a su rendre d’éminents services en mettant en place un système sanitaire efficient, sauvant ainsi la vie de milliers de blessés dont j’eus l’honneur de faire partie. En tant que notre aîné, il a toujours été pour nous un exemple d’abnégation et de grande rigueur morale, même si l’ingratitude humaine s’est, à certains moments de sa vie, acharnée sur lui. Pour ceux qui l’ont connu, son souvenir restera impérissable. J’ose espérer, à l’automne de ma vie, voir un jour un grand établissement hospitalier porter son nom.

Ancien officier, chef de bataillon de l’ALN, ancien colonel de l’ANP, Commandant de Région militaire, ancien ministre.


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karou

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MessageSujet: Re: Nécessité d'écrire l'histoire algérienne   Nécessité d'écrire l'histoire algérienne EmptyMar 10 Aoû - 11:35

Yacine Teguia, membre du M.D.S. (Mouvement démocratique et social), un parti de gauche, a publié, ce matin, dans Le Soir d'Algérie, une longue contribution sur le thème de l'histoire qui mérite d'être insérée et d'être, au besoin, commentée.

Elle vient à point nommé pour apporter une approche certainement plus nuancée de celles qu'on a jusqu'ici lues sur le sujet, et revient sur certaines questions traitées avec "légèreté", selon l'auteur, par Sadi dans son livre sur Amirouche.

Voici la première partie :
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Il faut débattre sans tabous, sans injures et sans soupçons

Par Yacine Téguia*

Pour l’historien anglais, Eric Hosbsbawn, « L’histoire est plus que jamais révisée ou même inventée par des gens qui ne souhaitent pas connaître le passé véritable, mais seulement un passé qui s’accorde à leurs intérêts. Notre époque est celle de la grande mythologie historique ». La publication d’une biographie d’Amirouche par Saïd Sadi s’inscrit dans ce contexte drainant sa part d’enjeux politiques et géopolitiques plus ou moins clairs ou assumés mais aussi des questions légitimes. C'est pour cela qu'elle suscite tant de controverses.

En effet, des rectifications historiques sont parfois nécessaires. Car oui : les contraintes que le pouvoir algérien fait peser sur l’écriture et l’enseignement de l’histoire sont réelles. Encore oui : il y a nécessité de connaître la vérité historique et d’en finir avec les mensonges de l’histoire officielle. Et toujours oui : il faut refuser l’isolement de l’histoire, tout en rejetant l’interaction actuelle entre l’histoire et le pouvoir, c'est-à-dire la légitimité historique. Pourtant, Louisa Hanoune refuse qu'un débat ait lieu et a lancé pour disqualifier Sadi : « Seuls les historiens doivent écrire l’histoire.» Elle sera ignorée, comme, avant elle, trois historiens et Ali Kafi qui aurait dû se rappeler sa fonction présidentielle avant d’avoir l’imprudence de brandir cet interdit et de verser dans la confusion. Pierre Vidal-Naquet pour qui « l’historien n’est jamais dissociable du citoyen » a détruit l’argument qui veut réduire le livre de Sadi à un alibi historique pour intervenir dans le débat politique. Et pourquoi pas ? C’est le reproche inverse qui aurait pu être fait à Sadi, à savoir non pas de se mêler d’histoire, mais de donner le sentiment qu’il pourrait renoncer à la politique. Et c’est bien qu’il dépasse ce moment où le RCD avait décidé de geler ses activités, après l’élection présidentielle de 2004, et où il s’était plongé dans le silence. L’attraction que les sciences humaines exercent sur les politiques, la reconversion de certains d’entre eux en historiens ou géopoliticiens, leur permet, parfois, d’échapper au thème de la mort du politique que paradoxalement ils contribuent à répandre. Las, Aït Ahmed, dans un des ses derniers messages au FFS, n’écrit-il pas : « Le pays est malade du vide politique » ?

Des critiques ont tenté de jeter le discrédit sur la personnalité et le combat politique de Sadi, mais en trahissant le rapport qu'ils entretiennent avec l'opposition démocratique. Lakhdar Bensaïd vient de s'illustrer en lançant que le père de Saïd Sadi serait un harki, espérant frapper de suspicion patriotique son travail ! Avant lui Benachenhou parlait des « thèmes récurrents, trop connus, car toujours répétés jusqu’au dégoût, par tous ceux qui se piquent d’action dans l’opposition ».

Le militantisme de l’auteur étant réduit à une espèce de coquetterie, il ajoutait qu’« Amirouche a été choisi comme thème de base de son écrit parce que c’est plus productif politiquement d’utiliser un héros local pour construire son instrument de lutte politique que des héros nationaux. » L’objet du débat, à son tour mis en cause, il restait à faire le procès du débat lui-même, pour mettre Sadi en contradiction avec son engagement démocratique. Et Benachenhou de donner des leçons de libre débat. Seuls ceux qui en ont si peu l’expérience peuvent attendre qu’on en fixe définitivement les termes, les limites et surtout la forme.

Enfin, quand tout est épuisé, on en revient aux vieilles accusations de régionalisme. Sadi ferait une espèce de fixation sur la Kabylie. Il se présente comme un « homme politique originaire de Kabylie », rappelle que Ben Boulaïd recommandait « de se tourner vers les frères kabyles si quelque malheur lui arrivait », présente la Wilaya III comme « la plus organisée », celle dont les services de santé étaient les plus performants… Si on néglige la manière dont le pouvoir a procédé à une substitution identitaire, en tournant le dos à l’algérianité, en se livrant à des provocations contre la Kabylie dont seule la mobilisation a pu arracher la constitutionnalisation de tamazight, on pourrait s’offusquer devant une réaction passionnée. Mais, on ne peut pas prendre prétexte de la forme pour rejeter le fond de la cause amazighe, en particulier le fond démocratique largement partagé aujourd'hui dans la société, y compris à Sidi Salem, dans la wilaya de Annaba, où des jeunes protestataires ont été accusés d'avoir brûlé le drapeau algérien alors qu'ils avaient brandi un drapeau symbole de la lutte pour tamazight pour exprimer leur solidarité et leur attente de solidarité de la part de tous ceux qui luttent pour la démocratie dans notre pays. Surtout, on ne peut pas ignorer que Sadi rappelle que, pour Amirouche, il était manifeste que « l’entité algérienne transcende tous les aléas sociologiques, qu’ils soient culturels ou politiques ».

Est-ce parce qu’il évoque « Amirouche le chef kabyle », qu’on peut présenter le livre de Sadi comme une espèce d'addition d’aigreurs acoquinées par une exaltation presque mystique d’un Amirouche « chef officieux des maquis de l’intérieur », « homme insaisissable » doté d’un « don quasi animal à détecter le danger », « un être à part », « au-dessus de tous » ? A la décharge de Sadi, cette façon d’évoquer Amirouche, en biographe extasié, prend le pouvoir à son propre jeu.

Le moindre trait négatif chez Amirouche est réduit à la propagande de Boumediène, comme hier le moindre aspect négatif de la guerre d’Algérie était réduit à une manipulation française. On peut y percevoir un phénomène d’identification entre l’auteur et son sujet, mais, quand on personnalise l’histoire — comme l’a fait le pouvoir avec « les historiques » — les seules catégories qui peuvent exister sont les martyrs, les traîtres et les oubliés. C’est finalement le pouvoir qui — comme hier la France — pousse la société à produire des héros et Sadi analyse avec justesse ce processus en partant de sa propre expérience. Mais si le livre de Sadi formule, surtout, une accusation contre Boussouf et Boumediène — suspectés d’avoir trahi Amirouche — il n’apporte guère de révélations, ce qui témoigne de l’échec de ceux qui ont voulu manipuler l’histoire. Du coup, même au FLN, le très conservateur Salah Goudjil, commissaire politique de son état et un des principaux artisans du sinistre article 120, sent le vent tourner et signe une pétition pour qu’on permette à chacun de pouvoir contribuer, en toute liberté, à l’écriture de l’histoire.

On peut se réjouir de cette nouvelle attitude, mais on peut craindre, cependant, que ce soit, aussi, parce que l’empathie de Sadi et sa façon de se laisser aller à la pente victimisante peuvent être aussi stériles que l’histoire officielle.

Le premier responsable du RCD est-il pour autant un mauvais Algérien ? Un bleu envoyé en mission au moment où s’opère, en France, une espèce de tournant interprétatif et même un révisionnisme radical qui amène d’autres à traiter des « aspects positifs » de la colonisation ? On a vu la polémique qu’a pu provoquer la projection de « Hors-laloi » au festival de Cannes ou avant, en Algérie, pour les raisons inverses, le documentaire de Jean-Pierre Lledo ainsi que les romans de Boualem Sansal ou d’Anouar Benmalek ou les déclarations du sénateur Habibi qui estime que le chiffre de un million et demi de martyrs est surévalué. On pourrait rejeter Sadi comme tenant d’un état d’esprit réactionnaire, en s’appuyant sur une dénonciation de ses erreurs et oublis historiques intéressés. Mais Sadi mérite mieux que cela, même si on peut s’interroger sur les circonstances de la mort d’Amirouche et dénoncer la séquestration de son corps, sans devoir pour autant accuser Boussouf et Boumediène. On peut même tenir compte de certaines des accusations de Sadi sans lui reprocher une idée arrêtée sur leur compte, comme l’a fait le bureau de l’association des anciens du MALG et, surtout, sans en tirer la conséquence que la guerre de libération serait devenue suspecte et qu’on devrait lui tourner le dos.

La polémique empêche, somme toute, qu’Amirouche devienne consensuel, que toute la société se l’approprie. Au final, on ne saurait ni accepter, ni rejeter en bloc le livre de Sadi (surtout en refusant de le lire !), il faut le critiquer.

Il faut en débattre sans tabous, sans injures et sans soupçons. Et si Boussouf ou Boumediène ne sont pas au-dessus de la critique, Amirouche ne l’est pas non plus. Pas plus Sadi d’ailleurs.

La question de l’écriture de l’histoire

L'universitaire Ounassa Siari- Tengour rappellait que « dans construction d’une histoire à cheval sur la vie privée et sur la vie publique, il y a toujours un risque de succomber à la subversion du récit vécu et livré par un témoin et de céder à la tentation de faire revivre un passé au lieu de l’expliquer ». Dans sa biographie, Sadi fournit une documentation assez faible. Son livre peut être considéré comme destiné à perpétuer la légende du chef de Wilaya III.

Cette démarche est digne de l’école romantique qui assignait aux héros le rôle de direction dans l’histoire de l’humanité.

Mais elle doit aussi correspondre à une certaine conception de l'action politique, qui n'est pas propre au premier responsable du RCD, mais avec des conséquences sur la reproduction des élites dans sa propre organisation. Sadi insiste souvent sur ses 40 ans de recherches, donnant l’impression d’avoir été, durant ce temps, dans une véritable quête. Cependant, sa bibliographie est limitée, très récente et constituée pour l’essentiel de témoignages. Or, Gilbert Meynier le dit : "La mémoire n’est pas l’histoire ; l’histoire n’est pas la mémoire, elle en est même dans un sens le contraire». Les souvenirs purs n’existent pas : tous les souvenirs sont des reconstructions déterminées par des appartenances sociales, passées et présentes. Un historien français a même élaboré le concept de « mémoires-écrans qui fonctionnent comme des censures d’autres souvenirs du passé ». Si la polémique actuelle traduit cette joute des mémoires, elle exprime d'abord et surtout le besoin de mémoire, au moment où l'oubli et la trahison avancent, à grands pas, à travers la condamnation à mort de Mohamed Gharbi, ce moudjahid qui avait repris les armes pour combattre le terrorisme islamiste.

Une approche scrupuleusement scientifique conduira à la révision d’un grand nombre de vues concernant la guerre de libération et devra inciter à une étude intensive des documents disponibles et de ceux, inédits, conservés dans les différentes archives. Et, Anissa Boumediène, qui a eu le privilège d’accéder à certaines d’entre elles, devrait en faire partager l’accès. Quant à la barbarie islamiste, l'État — qui détient une somme immense de preuves et documents — devrait les livrer l'opinion publique. Pas uniquement pour des besoins de mémoire mais pour que justice soit enfin rendue, contre les bourreaux et non pas contre les victimes!

En histoire, une théorie renvoie à une typologie : lutte des classes, conflit ville/campagne… Celle de Sadi c’est victime/bourreau dans laquelle les victimes représentent le bien et les bourreaux le mal. Sadi nous appelle tous à « assumer notre part de la responsabilité, qu’elle soit active ou passive, dans le désastre national ».

Après les sermons sur la tragédie nationale, il paraît, peut-être sans y prendre garde, reprendre un thème de Bouteflika qui, face au terrorisme islamiste, a d’abord dit que tous les Algériens étaient des victimes, y compris les terroristes qu’il disait comprendre, avant de considérer que ces mêmes Algériens étaient tous coupables. Finalement, il renverra dos à dos ce qu’il considère comme deux extrémismes : les laïcs et les tenants de l’État théocratique.

Dans une interview au Matin, en août 1999 — justement au moment où se dessinait le projet de concorde civile que soutiendra le RCD — Benjamin Stora considérait que Boutefilka était en train de réorganiser « la mémoire collective après 40 ans de confusion idéologique et de perte d’une histoire réelle… pour occuper pratiquement seul un espace symbolique et imaginaire, celui de la nation et du nationalisme ». Alors que le besoin de dépasser certaines étroitesses historiques est une exigence que Bouteflika ne peut pas prendre en charge de façon conséquente, Sadi ne semble pas prêt à rompre, lui non plus, avec l’idée du 1er Novembre comme unique événement fondateur. Il est cependant perturbant de constater que Bouteflika peut aller plus loin que lui, même si c’est à son seul bénéfice. On a pu observer que ce dernier a baptisé un aéroport du nom de Messali Hadj, qu’il a inauguré une stèle à la mémoire du GPRA, que le centenaire de la naissance de Ferhat Abbas a été l’occasion de sa réhabilitation ou que les pieds-noirs sont revenus. Même les hommages rendus aux communistes Henri Maillot, Fernand Yveton et Maurice Audin ont pris une dimension moins confidentielle depuis que s’y associent des milieux patriotiques qui s’en tenaient à distance jusque-là. On se trouve ainsi entre remise en cause du silence et réhabilitation tous azimuts, ce qui met dans l’embarras de nombreuses forces. Certaines parce qu'elles refusent les amalgames, d'autres parce qu'elles rejettent toute idée de remise en cause de l'histoire officielle, ne se rendant pas toujours compte à quel point le discours sur la réconciliation nationale, qu'elles soutiennent, est venu se substituer à celui sur la légitimité historique, pour défendre des intérêts aussi étroits que ceux qu'ils ont toujours défendus. Surtout au sein du FLN dont Bouteflika est pourtant président. On note la publication des mémoires controversées d’Ali Kafi, la polémique de Ben Bella sur Abane Ramdane ou la sortie de Chadli sur la base de l’Est et la mort du colonel Chabani. Même en France, le débat historique a connu des évolutions. On relève ainsi la publication des témoignages de Louisette Ighil Ahriz, des généraux Massu, Bigeard, Aussaresses, les révélations sur Le Pen, le fait que le général Schmit a été accusé de torture. Le tout a été rapporté par Florence Beaugé dans le quotidien Le Monde.

La loi sur les essais nucléaires ou les propos de l’ambassadeur de France qui reconnaît en 2005 que le massacre de Sétif en 1945 était inexcusable sont des signes que les choses changent, malgré les nostalgiques de l’Algérie française qui restent très actifs. Plutarque disait : « Il est politique d'enlever à la haine son éternité. » Mais, justement parce que la réconciliation est une question politique, il y a autant de réponses à cette exigence qu'il y a d'intérêt en jeu. Chacun veut donc en livrer sa conception, en instituant les partenaires légitimes, en fixant le rythme et en posant ses limites: historique, nationale… globale.

Sadi paraît donc s’inscrire dans un large courant qui revisite l’histoire, parce que la vérité est une exigence de la réconciliation. Cependant, il ne s’appuie pas sur la méthode historique qui suppose une critique externe (les documents ou les témoignages qu'il produit sont-ils vrais ou faux ?) et une critique interne (ces témoins se trompent-ils ? Nous trompent-ils ? Et si oui pourquoi ?). Une telle critique aurait été un signe fort d’une volonté de s’élever au-dessus des enjeux politiciens immédiats pour poser la problématique plus générale du projet de société. D'autant que la réflexion critique sur l’histoire a commencé depuis longtemps. Un symposium intitulé « L’Algérie 50 ans après 1954-2004, l’état des savoirs en sciences sociales et humaines » a été organisé par le CRASC à Oran. Il avait été précédé de deux autres colloques en 1984 et en 1999.

Dans une des publications auxquelles ont donné lieu ces rencontres, Omar Lardjane affirme qu’en vérité « le problème aujourd’hui n’est pas dans la question du paradigme mais plutôt celle plus fondamentale et plus complexe des conditions culturelles générales que supposent et requièrent l’existence et la pratique des sciences sociales », dont l’histoire. La démocratie pouvant, certainement, être considérée comme une de ces conditions sans laquelle les questions historiques resteront des questions politiques, dans leur acception la plus utilitaire, l'autre versant de la légitimité historique.

Dans un article de la revue Insaniyat, dans lequel il traite de l’intervention institutionnelle et de son impact sur la pratique historiographique, Hassan Remaoun explique précisément comment la politique de réécriture s’est attachée à « valoriser une identité algérienne ayant pour racines les «tawabit » ou « constantes » héritées d’un passé qu’on tend à réduire au « caractère arabo-islamique. » Il montre aussi que le mot d’ordre d’écriture visait à légitimer le pouvoir politique.

Ainsi, malgré tous les efforts du pouvoir, tous les intellectuels n’adhèrent pas à sa conception de l’histoire. D’ailleurs, alors qu'il avait espéré plus de coopération, Boumediène concluait, dès 1968, que « les intellectuels algériens n’ont pas joué le rôle attendu dans ce domaine ».

Voilà qu’à son tour, aussi paradoxal que cela puisse paraître, Sadi évoque le « silence des élites et le naufrage intellectuel ». Peut-être n’était-il pas au courant des travaux évoqués plus haut ? Il serait plus surprenant qu’il ait oublié les réactions aux accusations de Ben Bella et Ali Kafi contre Abane Ramdane. En riposte, le mouvement citoyen avait organisé une rencontre, à Larbaâ Nath Irathen, à laquelle avaient participé Réda Malek, le Commandant Azzeddine et Hachemi Chérif. Le secrétaire général du MDS publiait même un texte intitulé « Abane, toujours vivant » dans lequel il écrivait en réponse à l’attaque de Ben Bella : Sa caractéristique majeure est que cette « critique » prend sa source à partir de positions conservatrices et islamistes. Ben Bella s’abîme ainsi dans la cause islamiste conservatrice qui l’a appelé à sa rescousse comme « historique » pour attribuer la paternité du Congrès de la Soummam en ce que ce Congrès a de condamnable à leurs yeux, c’est-à-dire à la Kabylie et à Abane, Kabyle ès qualités, accabler les Kabyles et attiser leur orgueil déjà fortement provoqué par le comportement du pouvoir, contenir la revendication démocratique moderne à la Kabylie (exactement le scénario sur lequel travaille Bouteflika avec qui il est en parfait accord sur la question !). Les élites n’ont donc pas manqué à leur devoir sur les questions d’histoire et sur la critique du pouvoir. On peut, alors, se demander au profit de quelle cause Sadi voudrait mettre ainsi ces élites sur la défensive. Veut-il les enjoindre à ne pas poursuivre un combat qui a permis l’édification de l’État algérien puis contribué à le sauver du péril islamiste ? Le voilà encore qui fustige « les étudiants appartenant aux courants qui gravitaient à la périphérie du pouvoir et qui puisaient dans sa besace idéologique quand il fallait déverser les anathèmes officiels sur l’opposition ». Il semble tellement en vouloir à ces camarades du PAGS, pourtant auto-dissous, en guise d'autocritique radicale, qu’il ajoute, paraissant craindre un retour de ses vieux démons : « L’intellectuel algérien n’a pas seulement démissionné, il a trop souvent accompagné ou précédé le pire ».

Cela fut particulièrement vrai pour les communistes qui, après avoir été durement réprimés, ont systématiquement revendiqué et assumé le statut de « soutien critique » des « autocrates». Ce genre d’emportement risque de ruiner le crédit de sérieux que le lecteur de bonne volonté peut conférer à son entreprise historique, surtout s’ils donnent lieu à des accès de fureur comme ceux qu’ont eu à essuyer les étudiants de Béjaïa, lors de l’une des conférences organisées à l’occasion de la sortie du livre.

Y. T.
*Membre du Mouvement démocratique et social

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karou

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MessageSujet: Re: Nécessité d'écrire l'histoire algérienne   Nécessité d'écrire l'histoire algérienne EmptyMer 11 Aoû - 14:10

Le journal Le Soir d'Algérie publie aujourd'hui la seconde partie de la contribution de Yacine Teguia, consacrée au "Procès de Boussouf et de Boumédienne.

Voici donc la seconde partie :

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Le procès de Boussouf et de Boumediène

Dans un ouvrage intitulé Les intellectuels contre la gauche, l’historien Michael Christofferson analyse la genèse de l’idéologie antitotalitaire en France entre 1973 et 1981. Il explique comment ce discours antitotalitaire a ouvert la voie au libéralisme qui allait bientôt dominer, alors même que la gauche était en passe d'arriver au pouvoir. Il souligne comment la relecture de la Révolution française a été essentielle dans cette histoire, et que l’historien François Furet y a joué un rôle capital.

En effet, l’auteur de Penser la Révolution française soutenait que la culture jacobine expliquait la tentation communiste en France au XXe siècle. Capitale de la gauche européenne après 1945, Paris devenait la capitale de la réaction européenne, comme Alger capitale des révolutionnaires semblerait condamnée à devenir la capitale du reniement néolibéral. Cela passe par un procès, non seulement des pratiques condamnables du pouvoir mais aussi de toute opposition constructive et surtout de l’orientation patriotique portée par Boumediène et qu’il n’est pas impossible que Sadi pense retrouver, ou pense nous faire retrouver, dans l’inflexion que connaît la politique économique de Bouteflika depuis la loi de finances complémentaire de 2009. Mais si Bouteflika et Boumediène partagent le populisme, ce dernier est cependant passé de gauche à droite, car si en 1974 on nationalisait le pétrole, en 2010 on place l’argent du pétrole en bons du trésor… américain.

Le discours sur le patriotisme économique ne doit donc pas faire illusion. Mais c’est là qu’il faut, certainement, chercher l’explication du revirement d’Omar Ramdane, officier de la Wilaya IV, dans l’appréciation des orientations économiques de Bouteflika, dont le FCE, à la tête duquel il se trouvait, avait pourtant soutenu la candidature à un troisième mandat. Et c’est donc naturellement, même si c’est aussi avec prudence, qu’il interviendra dans la polémique historique pour évoquer la réunion des colonels de décembre 1958 et sembler, dans un vieux débat, prendre parti pour l’intérieur contre l’extérieur en disant : « Les décisions qu’ils ont prises lors de leur conclave ne sont pas connues dans leur totalité. Ont-ils convenu d’instaurer une coordination, une sorte de commandement unique, assumé à tour de rôle par chacun des colonels ? Ont-ils décidé de dépêcher le colonel Amirouche à Tunis pour porter à la connaissance de la direction nationale la réalité de la situation qui prévalait à l’intérieur ? Nous ne le savons pas. » Si une contribution de Salim Sadi vient de poser des limites à la critique de l'armée des frontières et relativiser le conflit intérieur/extérieur, le livre de Sadi suppose, pourtant, venu le temps de répondre aux questions soulevées, le temps du jugement. Une nouvelle génération d’hommes politiques arrive chargée d'instruire le procès. Elle demande des comptes sur le passé, au moment où les 286 milliards de dollars du plan 2010/2014 sont sur la table.

Pour justifier sa démarche, Sadi écrit : « En Wilaya IV, M’hamed Bouguerra, Si Salah exhortaient les commandants au cas où ils viendraient à disparaître, de ne jamais oublier de mettre en place à l’indépendance un tribunal militaire pour juger Boussouf et Boumediène. » Peut-être même s'est-il senti encouragé par les propos du dernier chef de cette wilaya qui demande aujourd'hui un débat télévisé ? Mais l’historien a-t-il le droit de juger les acteurs historiques puisque l’histoire s’occupe de ce qui a été et non de ce qui aurait dû être ? On se rappelle comment les Français, en 1989, ont acquitté Louis XVI à l’issue d’un procès télévisé. Deux siècles après la Révolution française, les menaces qui pesaient sur la République n’étant plus là, il était facile de se montrer clément. A rebours, mais en dehors de tout contexte aussi, on peut condamner Amirouche pour crime de guerre comme le suggère Benachenhou et vouer Boussouf et Boumediène aux gémonies comme le fait Sadi. En vérité, ce dernier n’est pas le premier à apostropher un passé tenu pour criminel, soupçonné d’être un mal héréditaire et transmissible. Sur internet, Saâd Lounès n’arrête pas de se livrer à la critique de ceux qu’il appelle les marocains du clan d’Oujda.

Méprisant, Addi Lahouari parlait des « Boussouf boys » quand le premier responsable du RCD évoque « la chouannerie boussofo- boumediéniste ». D’autres ont fait la critique de l’EMG, sans avoir recours à l’insulte. En janvier 2010, à l’occasion d’une commémoration du cinquantenaire de la création de l’état-major général, le commandant Azzedine a rappelé que celui-ci avait voté contre les accords d’Evian.

Durant son exposé, il est apparu que la logique du pouvoir a enjoint à l’EMG de s’opposer au GPRA qui était favorable à ces accords. Ainsi, la parution du livre de Sadi n’a rien d’une révélation ouvrant les yeux d’une élite jusqu’alors aveugle à la nature autoritaire du pouvoir, mais permet de se saisir de la dénonciation de l’autoritarisme et de la métaphore de la trahison comme d’une arme de combat politique dans le contexte d’une montée du rejet de la légitimité historique qu'illustre, paradoxalement, l'affaire des magistrats faussaires.

En effet, le manque de réaction qu’a suscité la condamnation de Mellouk suggère que les Algériens n’acceptent plus que qui que ce soit instrumentalise le statut de moudjahid pour obtenir des privilèges et que — de ce point de vue — il n’est donc plus nécessaire de faire la distinction entre vrais et faux moudjahidine. Cependant, il est utile de souligner qu'il existe une différence entre la position qui consiste à critiquer la légitimité historique, en tentant de sauver une partie de l'héritage patriotique, et la position de Sadi qui considère qu'il y a eu trahison et que Boumediène et Boussouf sont uniquement des assassins et des putschistes. Dans le premier cas, Boussouf et Boumediène, comme tous les véritables moudjahidine, appartiennent à la famille révolutionnaire, par conséquent leur œuvre peut être dépassée en même temps que cette dernière; dans le second cas, Boussouf et Boumediène deviennent des traîtres, comme d'autres sont de faux moudjahidine, et leurs actions sont comprises en dehors de tout aspect historique.

Comme il paraît sur-dimensionner le rôle d’Amirouche, Sadi ne pouvait pas manquer d’exagérer celui de Boussouf et de Boumediène et rendre ces derniers responsables, voire coupables de la mort d’Amirouche. Ce que Sadi ne comprend pas, c’est que si l’histoire n’est pas le chaos, elle n’est pas non plus une intrigue. Pas plus que l'action politique ne peut se réduire à une lutte des clans et des révolutions de palais. Pour Sadi, la mort d'Amirouche n’est plus le produit des circonstances, celles de la guerre de libération, mais de l’idéologie d’un groupe qui déterminerait la manière dont ce dernier menait cette guerre et les objectifs qu’il s’était fixés à l’indépendance.

Dans sa conception, seuls quelques chefs décidaient de tout, la société n'aurait pratiquement rien fait dans cette guerre de libération. Pas même crié, à l'indépendance : 7 ans ça suffit ! Ni n'aurait tenté de résister en 1963 ou organisé une opposition au coup d'État de 1965. Sans parler de toutes les luttes depuis la mort de Boumediène. Elle se serait soumise à un clan sans broncher. Dans sa démarche, Sadi privilégie une interprétation où « la valeur des hommes, autant dire leur subjectivité règne absolument ». L'histoire perd toute complexité, il refuse de « saisir l'intrication des faits politiques, sociaux, économiques, juridiques, moraux, psychiques » à l'œuvre durant la lutte de Libération nationale. Le biographe ne voit pas combien la violence et le cynisme de certains dirigeants de la guerre de libération étaient organiquement liés au cynisme et à la violence du colonialisme. C’est pourquoi il ne se demande pas si les projets d’Amirouche auraient été sans danger pour la conduite de la guerre de libération ou sur l’évolution de notre pays à l’indépendance. Pourtant, Sadi rapporte que, face aux défaitistes, Amirouche lui-même disait « nous prenons tous des risques. Le seul risque qu’il ne faut pas prendre est de mettre en danger le combat libérateur ». Jusqu’où serait-il allé pour ne pas prendre de risque ? Alors qu’un ancien du MALG déclare à Sadi, « Amirouche nous embêtait, on s’en est débarrassé », est-il défendu de penser qu’Amirouche ne s’interdisait pas non plus ce genre de procédés ? Les épurations en Wilaya III, quelle que soit leur ampleur, sont, quand même, un premier élément de réponse suffisamment éloquent. Et, dans le prolongement de cette réflexion, on peut même s'interroger jusqu'à quel point les conditions de la lutte antiterroriste n'ont pas largement déterminé le résultat politique qui en est sorti.

La violence et le cynisme de l'islamisme, mais parfois, aussi, de certains acteurs dans le camp démocratique, n'ont-ils pas conforté le pouvoir dans une démarche despotique et opaque ? Des erreurs, des fautes, voire même des choses plus graves, ne lui permettent-elles pas de continuer à manœuvrer ?

La thèse de Sadi selon laquelle Amirouche aurait été victime de sa volonté de remettre en cause les pouvoirs des dirigeants de l’armée des frontières et du GPRA, qui n’est pas insoutenable, ni même dénuée de vraisemblance, sans être plus crédible qu’une autre, n’est finalement étayée que par un faisceau de présomptions. Le livre de Sadi amène à s’interroger : n’est-il pas plus intéressant de s’intéresser à la signification historique des actes de Boussouf et Boumediène ou d’Amirouche plutôt qu’à leurs motifs ? Autrement dit, ne devrait-on pas voir en chacun d'eux, même en retenant l’hypothèse de Sadi, ce que Pouchkine — parlant de Napoléon — appelait « le fatal exécuteur des volontés obscures » de l’histoire. En l’occurrence, au moment où l’unité du mouvement national, à l’intérieur et à l’extérieur, entre l’intérieur et l’extérieur, était plus que jamais nécessaire face au colonisateur, chacun n’était-il pas convaincu qu’il devait la réaliser contre les autres ? Peu importait alors qui de l’intérieur ou de l’extérieur aurait la primauté ! N'est-ce pas cela qu’Hegel appelait une « ruse de la raison », qui veut que le sens de l’histoire se déroule en dépit des intérêts et des passions des hommes qui la font ? Il semble, pourtant, que dans l’atmosphère délétère du « tous pourris » où baigne actuellement la politique algérienne, rien n’est meilleur marché que l’honneur des hommes, surtout morts. Mais, la dénonciation de Sadi n’aurait pu être aussi brutale si la distance entre le culte institutionnel prétendument orchestré autour de Boussouf et de Boumediène — présentés comme les pères vénérés du système — et le culte pratiqué ne l’avait pas rendue possible. En fait, si Boumediène peut disparaître, c’est bien parce qu’il est devenu le synonyme de quelque chose de rejeté, ou pour le moins abandonné, à la fois par les tenants du système comme Ali Kafi ou Bouteflika et par des démocrates comme Sadi qui se retrouvent paradoxalement liés non par le passé, sur lequel ils ont des désaccords, mais par le présent. Eux aussi sont de fatals exécuteurs des volontés de l'histoire, chargés d'assurer les tâches de la transition historique, parfois contre leur gré, parfois en assumant un pouvoir de fait. Car l'histoire prend le chemin qu'elle peut.

Certes, il n’est pas trop tard, ni inutile, de « repérer les signes de gestation du régime à venir à l'indépendance », mais faut-il encore en saisir les traits essentiels. Il faut s'interroger, du point de vue historique, est-ce le caractère autoritaire du régime ou sa farouche volonté de souveraineté qui est primordial ? De ce point de vue, on peut penser que si Boumediène a commis des erreurs, celles-ci sont secondaires, y compris aux yeux de certaines de ses victimes (Boudiaf arrêta même la politique à la mort de celui-ci, en découvrant l’émotion populaire suscitée par sa disparition).

Ces erreurs font partie du patrimoine de la première tentative de construire un État indépendant, elles n'ont qu'une importance minime comparée au reste, qui est un jalon essentiel dans la marche de la société algérienne pour s'émanciper et se développer. C'est pourquoi la société retient d'abord de Boumediène son caractère égalitaire. Mais Sadi refuse, surtout, de prendre en compte les différences et les contradictions qui permettraient de repérer les rythmes et les cassures de l'histoire. Il préfère en lisser le cours et en dérouler l'enchaînement comme si tout procédait d'un péché originel, à savoir la trahison d'Amirouche.

En nous livrant une chronique des antécédents coupables du pouvoir, Sadi essaie de nous convaincre que l’histoire a défini de manière mécanique la nature de l’État algérien. Et, alors qu’il voit dans l’opposition intérieur/extérieur et dans une trahison supposée d’Amirouche, l’origine de la prise de pouvoir par Boumediène, Lahouari Addi, dans un texte intitulé Misère de l'intellectualisme, écrivait quant à lui : « J’ai reconstitué, comme dans un puzzle, les différents éléments de la vie officielle de l’État pour découvrir une logique interne à ce pouvoir d’État : il est marqué par une structure double qui prend son origine dans l’histoire du mouvement national. L’opposition entre l’OS et le MTLD officiel est reproduite par l’antagonisme entre l’état-major de l’ALN et le GPRA. Ils préfigurent le coup d’Etat du 19 juin 1965, la désignation de Chadli Bendjedid par la Sécurité militaire en décembre 1978, le départ de celui-ci sous la pression de 180 officiers supérieurs qui ont signé une pétition dans ce sens, la démission de Liamine Zeroual qui avait refusé l’opacité des accords entre le DRS et l’AIS en été 1997, et enfin la faiblesse de Bouteflika qui disait en personne qu’il ne voulait pas être un trois quarts de président. » Sadi semble tomber dans la même espèce de déterminisme. Il imagine et laisse imaginer que la démocratie aurait été un fruit naturel de l’indépendance, si Boussouf et Boumediène n’avaient pas confisqué la lutte contre le colonialisme. En vérité ni ce dernier, ni le pouvoir de Boumediène ne représentaient les seuls obstacles à l’édification d’un État démocratique, alors que c’est tout l’héritage historique de sous-développement de la société – comprises les conséquences du colonialisme et du système rentier, qui constituent des causes de blocage jusqu’à aujourd’hui. Et c’est l’apparition de l’islamisme (produit contradictoire de la lutte de libération et expression paroxystique de la rente), dont Sadi prend soin de ne pratiquement pas parler, sauf pour en blanchir Amirouche, qui en s’opposant à un devenir démocratique, nous a fait saisir que la démocratie allait être une nouvelle conquête, après celle de l’indépendance. C'est pourquoi, on peut considérer que Sadi verse dans l’anachronisme, en projetant la critique légitime du FLN d’aujourd’hui sur celui du 1er Novembre, pour évoquer « le conservatisme du FLN » alors qu’il parle de l’organisation qui menait une ardente guerre révolutionnaire! Il confond ce qui était avec ce qui est devenu, pour justifier ses conclusions. Si on ne partage pas l’approche de Sadi, on peut toujours dépasser sa manière de flétrir les dirigeants du MALG et de l’EMG, manière indirecte de s'attaquer à leurs héritiers du DRS et de l'ANP. Quand il évoque « la pieuvre tchékiste de Boussouf », chacun pourra apprécier cette image tirée de l’arsenal de la propagande anti-soviétique. Mais, au-delà de la formule, ce qu’il faut retenir c’est que Sadi dénonce les accointances d’un pouvoir assurément liberticide, avec le régime soviétique dont il l'accuse de partager l’orientation bureaucratique étouffante, aussi bien au plan politique qu'économique. Bien que la Tunisie d'aujourd'hui n'ait rien à envier au despotisme du pouvoir algérien — comme d'ailleurs aucun pays décolonisé, quelle que soit son option après l'indépendance (à part l'Inde, mais à quel prix!) — Saïd Sadi ne cache pas qu’il estime Bourguiba, voyant en lui un visionnaire largement inspiré par les idéaux démocratiques. Non seulement celui-ci avait refusé d’adhérer à la Ligue arabe, comme Sadi le rappelle avec une sorte de jubilation, oubliant que Tunis accueillera plus tard son siège, mais surtout parce qu'il avait « une vision que l’histoire validera tout au moins sur certains aspects, notamment après l’effondrement du mur de Berlin ». Dans cette logique, à la fois anti-arabe et anti-communiste, Sadi voit même dans Kennedy « l’un des soutiens les plus fidèles et les plus crédibles du peuple algérien pendant la guerre ». Et, avec l’anecdote du Pasteur qui après avoir été relâché par le chef de la Wilaya III ira prêcher pour la libération de l’Algérie, on découvre un Amirouche devenu subitement pro-américain comme l’auteur de sa biographie. Le procédé peut paraître artificiel, mais surtout, force est de constater que l’Amérique de Sadi est réduite à l'Amérique libérale car des intellectuels américains de gauche, tel Noam Chomsky qu'on ne peut pas soupçonner de complaisance envers le régime soviétique, ne partagent pas son opinion sur le totalitarisme et estiment que c’était un concept de guerre froide instrumentalisé par le gouvernement américain.

Quant aux options politiques, très contradictoires, des hommes du 1er Novembre, on peut aussi rappeler que Ben M'hidi écrivait dans les colonnes d’ El Moudjahid : « Le peuple algérien reprend une autre fois les armes pour chasser l’occupant impérialiste pour se donner comme forme de gouvernement une République démocratique et sociale, pour un système socialiste, comportant notamment des réformes agraires profondes et révolutionnaires, pour une vie morale et matérielle décente, pour la paix au Maghreb. Le peuple algérien est fermement décidé, compte tenu de ses déboires et ses expériences passées, à se débarrasser à jamais de tout culte de la personne. » Comme quoi, tous n'étaient pas forcément hostiles à l'option formellement adoptée à l'indépendance.

D’une certaine manière, le livre de Sadi n’est pas sans évoquer le rapport Krouchtchev. En février 1956, alors que les journalistes ont quitté la salle du XXe Congrès, Nikita Krouchtchev, premier secrétaire du Parti communiste d'Union soviétique, livre aux délégués un discours dans lequel il dresse un bilan sévère de la politique de Staline.

Le texte, qui devait rester confidentiel, est rendu public par le New York Times. Dépité, Aragon qui découvre ce rapport sublime, ce moment difficile pour lui, et écrit « Ainsi donc l’histoire passe par cette ornière », un poème inédit du roman inachevé. Dans Comment on écrit l’histoire, Paul Veyne rappelle que, suite au rapport, s’engage une polémique entre Krouchtchev et Togliatti. « L’homme d’Etat soviétique aurait bien arrêté l’explication des crimes de Staline sur la première liberté venue, celle du secrétaire général et sur le premier hasard qui le fit secrétaire général, mais Togliatti, en bon historien non-événementiel, rétorquait que pour que cette liberté et ce hasard aient pu être et faire des ravages, il fallait aussi que la société soviétique fût telle qu’elle pût engendrer et tolérer ce genre d’homme et de hasard. » Non seulement Krouchtchev n’aura pas le dernier mot dans sa polémique avec Togliatti, mais, en plus, Hannah Arendt finira par le considérer comme un « despote éclairé », lui qui avait pourtant dénoncé le culte de la personnalité. .Sans être aussi sévère avec Sadi, accusateur de Boumediène, on peut quand même relever que cette manière de faire, par la bande, la critique du système est révélatrice de l’ambiguïté de l’objectif. Peut-être que — tout comme Krouchtchev — Sadi veut le changement, mais pas le changement radical. Si Sadi ne veut plus du despotisme, il voudrait, on peut le craindre, accentuer l’orientation néolibérale de Bouteflika, accélérer le rythme de certaines réformes. Celles qui l'avaient amené dans un gouvernement qu'il a, peut-être, quitté, non seulement pour condamner la répression en Kabylie, mais aussi, parce qu'elles n'étaient pas assumées de manière assez résolue.
Y. T.
*Membre du Mouvement démocratique et social

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karou

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MessageSujet: Re: Nécessité d'écrire l'histoire algérienne   Nécessité d'écrire l'histoire algérienne EmptyVen 13 Aoû - 0:52

Le Soir d'Algérie publie, aujourd'hui, la 3è et dernière partie de la prose plutôt amphigourique de Teguia, un membre à part entière apparemment du MDS, résidu d'un autre parti, le PAGS, qui avait tant fait parler de lui et surtout de sa compromission avec le régime dictatorial de Boumediene dont chacun mesure les divagations socialo-destructrices de l'économie et de la société algérienne.

En fin de compte, en cataloguant ce mouvement d'utopiste depuis l'origine, Sadi, en particulier, n'avait pas tellement tort... Et puis, ne l'oublions pas, le MDS, du temps même où il avait quelque représentativité, avait toujours refusé de participer ou de s'impliquer dans les débats essentiels qui se sont posés à un moment ou un autre au pays. C'est sans doute la raison d'être de sa marginalité et de son émiettement qui ont fini par ne plus intéresser grand monde autour de sa théorie aussi oiseuse que peu constructive.

Voici cette 3è partie et dernière partie.
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Le désir de vérité

Par Yacine Téguia*

Le besoin de comprendre est très fort en ce moment. Il dépasse le cadre de l’histoire. Nous sommes, nous dit-on encore une fois, dans un contexte de crise de confiance dans le pouvoir - qu’Ali Kafi alimente en disant qu’il ne sait pas où on va. Les affaires de corruption prolifèrent et tournent à la lutte des clans, nous assurent certains. Le chef de la police est assassiné dans son bureau, ce qui donne lieu à une enquête pour le moins troublante tandis que le gouvernement qui vient d’être changé accueille un nouveau vice-Premier ministre dont les fonctions ne sont pas encore déterminées, situation tout à fait originale.

En vérité, la crise de la nature de l’État a évolué sans connaître son dénouement. Dans de telles conditions, on pourrait estimer, comme l’historien Jean-Pierre Rioux, que « cette désunion spectaculaire et querelleuse de la mémoire collective masque une crise sociale de la temporalité autrement plus grave… une fracture temporelle s’élargit dans la société... Elle laisse libre cours au présent, elle ignore ou récuse l’avenir comme l’au-delà et, du coup, elle instrumentalise à tout-va le passé l’histoire et la mémoire des êtres, des groupes sociaux et de la nation. Cette rupture est grave car, on le sait bien, l’état du souvenir conscient et organisé, l’état de marche d’une mémoire sont subordonnés à celui d’un avenir plausible et non à celui d’un présent brumeux ou d’un passé coupable ».

Face à l’opacité du présent, il faut donc s’interroger sur les projets de chacun pour mieux en comprendre la vision du passé, dans la perspective du rassemblement et du débat auquel appellent de nombreux acteurs du camp démocratique. Le responsable du RCD évoquant, lui-même, un débat républicain, le CCDR parlant d’un débat citoyen et le FFS d’un débat entre les forces représentatives.

Le débat ne concernerait pas certaines forces. Soit. Chez Sadi, les ennemis politiques ne doivent pas seulement être rejetés, ils sont même niés puisqu'ils deviennent coupables du double point de vue de l'histoire et moral. Le biographe d’Amirouche dépolitise la question de Boumediène. Il est ainsi dans une stratégie qui prolonge le procès intenté par le RCD à l’occasion de la présidentielle de 2009. A dissimuler l’adversaire politique derrière le rideau du juridisme moral, on construit un obstacle à l'élaboration d'un compromis. Avec qui le faire, s’il n’y a plus d’adversaire ? Est-ce une ruse destinée à ramener la société précisément à négocier avec cet adversaire, en se justifiant d'une intransigeance première ? Rappelons-nous que juste avant de rejoindre le gouvernement, Sadi dénonçait « la dernière fraude du siècle ». Mieux encore, on peut évoquer comment l’islamisme qui dénonçait le « taghout », a ajouté « la critique par les armes aux armes de la critique », pour finalement accepter la réconciliation nationale… en contrepartie de l’impunité. A moins que cette démarche soit la manière de Sadi de faire un constat d’impuissance face au pouvoir, tout en lui signifiant son refus d’abdiquer ? Cette moralisation de la politique ne vaut pas mieux que la politisation de la morale : dans les deux cas, il s’agit d’une confusion des essences suscitant plus de problèmes qu’elle n’en résout. On l'a vu avec l'islamisme qui prétendait agir au nom de la morale et de la religion et qui a fini par commettre de véritables crimes contre l'humanité, qu'on ne peut effacer avec un référendum trafiqué, pas plus que les cas de disparitions forcées, dues aux agents de l'Etat. Cependant, Sadi pose une question d’actualité : comment mener à bien un objectif de transformation politique sans que celle-ci engendre des épisodes de terreur ou le refus de tout compromis ? Soit comment faire surgir l’autre du même, sans reproduire ce dernier et en réussissant à développer l’idée d’une pluralité politique ? C’était face à cette question que se trouvaient les acteurs de la guerre de libération, qui ne devaient pas employer les méthodes du colonialisme, mais c’est aussi face à elle que se trouve la classe politique actuelle. Comment mener la transition historique et comment rend-on justice aux victimes d’un affrontement politique ? Questions lancinantes depuis la guerre de libération, réitérées à chaque épisode douloureux de notre histoire : octobre 1988, terrorisme islamiste, Printemps noir. Aussi est-il légitime de se demander si ces enjeux ont bien été identifiés par la classe politique ? Il est même possible que Sadi n’ait pas voulu élaborer une telle problématique. Après tout, il ne joue, peut-être inconsciemment, que le rôle de bélier contre Boumediène et ceux qui incarneraient son système aujourd’hui. Il y a quelques années, Boukrouh l’avait fait contre Zeroual, en s’attaquant à Betchine, pour mieux préparer l'arrivée de « l'homme du consensus », coopté par le système dont il dénonçait pourtant avec violence l’homme fort du moment. Après en avoir été gratifié, il a sombré dans l'oubli politique.

Le but d’une partie des réponses à Sadi étant de rallier les milieux conservateurs, en proie à une lutte entre deux lignes, on devine que ces milieux ne peuvent pas être considérés comme totalement soumis à la ligne imposée par le pouvoir actuel et que semble, malgré tout, viser autant Sadi que certains de ses contradicteurs. Peut-être que ces derniers ont l'espoir de stimuler les masses attachées à Boumediène contre l'idée de dissolution du FLN qui avance dans la société. C'est peine perdue car la charge principale est ailleurs. Elle est tellement forte dans la société que Bouteflika est même tenté de la récupérer insidieusement. On voit, d’ailleurs, dans quel état d’instabilité se trouve le FLN depuis son arrivée au pouvoir. Mais si les coups de Bouteflika sont insidieux, c’est parce que l’objectif n’est pas d’en finir avec les partis/Etat, mais de dérouler le tapis rouge à une nouvelle formation présidentielle, dont son frère Saïd serait le fer de lance, dit-on. Il est donc impossible de comprendre le livre de Sadi si on ne rappelle pas la bataille idéologique qui se livre, d’une part à propos de l’islamisme, d’autre part à propos du nationalisme, que Bouteflika voudrait digérer, l'un comme l'autre. Malheureusement, dans cette phase de recomposition de la classe politique, ceux qui prétendent vouloir débarrasser la société de certains archaïsmes, ne sont pas, eux non plus, détachés d’intérêts en contradiction avec les aspirations de cette société. On se rappelle l’épisode Benflis, ou plus récemment les attaques contre le FLN, y compris de la part de Hamid Sidi Saïd, ancien wali de Tizi-Ouzou au moment du Printemps berbère qui — dans une interview à l’occasion du 30e anniversaire des événements — rend la direction centrale du FLN responsable de l’interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri. En fait, se profile la nécessité d’en finir avec l’accaparement du sigle FLN qui devrait être restitué au patrimoine de la société algérienne. Après Boudiaf et le MDS, voilà même un cacique du FLN, Mohamed Djeraba, qui pense que son « ultime mission » c’est d’emmener son parti au musée! Tant mieux !

La biographie d’Amirouche est aussi l’occasion d’aborder la question de la régionalisation. La conception de l’Etat doit être revue, nous explique Sadi en opposant une nouvelle forme de wilayisme à la conception attribuée à Boussouf et Boumediène. S’agit-il de se situer dans le prolongement de Salah Boubnider qui évoquait un découpage du pays en régions qui recouvriraient les anciennes wilayas de la guerre de libération ? De faire pièce au pouvoir et à sa « régression régionaliste » ? Au FFS et à sa régionalisation positive ? Malheureusement, Sadi, qui veut opposer la régionalisation au régionalisme, ne voit pas qu’on peut être pour la régionalisation et régionaliste en même temps. La preuve c’est la proposition d’autonomie de la Kabylie portée par le MAK de Ferhat Mehenni qui non seulement ne propose pas cette solution aux autres régions d’Algérie mais réussit le tour de force de proposer un gouvernement provisoire kabyle avec un nouveau parti unique, le sien et un... ministre des affaires étrangères, qui laisse présager plus qu’une autonomie. Ouyahia, en réduisant à un « tintamarre » la mise en place de ce GPK, montre, avec férocité, qu’au sein du pouvoir personne ne craint encore un risque séparatiste. Est-ce l’aveuglement habituel, alors que la France intervient militairement à nos frontières sud ? En tout cas, le Mouvement citoyen de Kabylie et la formidable mobilisation autour de l’équipe nationale de football ont démontré la volonté de la Kabylie de se réapproprier les symboles de la nation. Mais, la régionalisation, on en parle aussi à l’ambassade des Etats-Unis où on questionne des personnalités sur leur appréciation d’une telle proposition et sur un partage de ces régions entre différentes forces politico-idéologiques. Au lieu de déjouer les pièges de ce débat, Sadi - qui se plaint du « sectarisme qui cible la Kabylie » -, menace de sombrer à chaque instant dans celui qui consiste à laisser penser que les limites des projets de société qui traversent le pays recouvrent celle des données géo-linguistiques et qui voudrait que seule la Kabylie soit ouverte au projet démocratique, tandis que les autres régions seraient plutôt favorables à l’option arabo-islamiste. Il alimente ainsi les pires scénarios. A moins que derrière la dénonciation du jacobinisme de Boumediène, il s’agisse, pour Sadi, de prolonger l’œuvre des tenants du néolibéralisme qui ont depuis longtemps favorisé l’affaissement des collectivités locales comme élément de réduction de la régulation par l’Etat. Ce n’est peut-être pas pour rien que le RCD mène d’ailleurs une bataille autour d’un financement par le PNUD à Tizi-Ouzou, manière de dire : on peut se passer de l’Etat. Une version moderniste du rejet de l'État centralisateur et de ses missions, après celle de l’islamisme qui disait que la zakat peut remplacer l’impôt. Si la décentralisation doit être l’occasion de reconsidérer un découpage ignorant les réalités socioculturelles, si elle doit permettre la mise en place d’un système de régions offrant des possibilités nouvelles d’aménagement et de coopération et dotées d’assemblées, elle ne doit pas être, par contre, un habillage légal à une remise en cause du caractère républicain, démocratique et social de l’Etat et favoriser le développement de nouvelles inégalités.

Une des questions les plus importantes que pose Sadi, dans son livre, est : quelle est la place de l’armée et des services de sécurité dans l’édifice institutionnel algérien ? Il y a deux ans, ce problème était abordé dans une polémique entre Chafik Mesbah et Lahouari Addi. Le concepteur de la régression féconde, qui vient de dénoncer les contradictions de Saïd Sadi après lui avoir apporté son soutien — pensant d'abord que les accusations contre l'EMG et le MALG venaient prolonger utilement le qui-tue-qui — avait proposé « la modification de la Constitution pour reconnaître à l’armée le rôle de garante de l’unité nationale, du caractère républicain de l’État dans le respect des valeurs de Novembre 1954 et de l’alternance électorale. »

Le schéma serait un système avec un président faisant corps avec l’armée dont il sera le chef, élu au suffrage direct ou indirect (par les deux chambres) et incarnant les intérêts suprêmes de la nation, et un chef de gouvernement issu d’une majorité parlementaire d’un parti (ou d’une coalition de partis) exerçant une réelle autorité sur les ministères et menant la politique économique et sociale promise aux électeurs. Ce schéma suppose la transformation de la Sécurité militaire en un corps au service de la nation et non au service du régime des « grands électeurs ». On doit effectivement interroger la place de l’armée et des services de sécurité, surtout quand on se rappelle leur rôle, qui reste à éclaircir, dans l’épisode du 8 avril 2004.

Le point 11 de la plate-forme d’El Kseur pose lui aussi ce problème, Ammar Koroghli l’abordait dans les colonnes du Quotidien d’Oran dans une contribution intitulée « l'armée pourvoyeuse de chefs d'Etat ? ». L’exigence de rassemblement démocratique ne doit cependant pas amener à des alliances contre nature sur des questions sensibles. A un antagonisme entre deux projets de société, l’un despotique néolibéral — qui ne veut rompre ni avec la rente, ni avec l’islamisme — et l’autre démocratique et social, on substituerait alors un conflit entre les défenseurs de l’armée et ses accusateurs. Tout cela sur fond d’un vieil antimilitarisme, porté par le politiquement correct de la pensée social-démocrate. L’accusation pourrait alors se transformer en ruse, pour troubler les véritables enjeux et favoriser certains regroupements, dans une logique qui porte dans son ventre un système bipartisan pour lequel Bouteflika a exprimé sa préférence. Avec un parti conservateur, réunissant les « défenseurs » de l'armée et un parti réformiste qui rassemblerait ses « accusateurs », tournant l’un et l’autre le dos au changement radical et à la rupture. Avec sa proposition, à laquelle Sadi n’est pas loin de souscrire, Addi voudrait revenir à une sorte de bicéphalisme institutionnel alors qu’il semble que le scrutin présidentiel de 2004 a voulu le remettre en cause. Dans une évaluation, le MDS considérait que cette élection avait formellement consacré la rupture entre l’armée, qualifiée de pouvoir occulte, et le pouvoir civil, au point où la société n’aurait plus à exiger des comptes à l’ANP, mais à celui qu’elle aurait élu. Cependant, si l’armée a annoncé prendre ses distances à l’égard de la gestion politique directe, cela n’implique ni de penser qu’il y a des divisions entre Bouteflika et l’armée ou au sein de cette dernière, entre le DRS et le corps de combat, ni de croire que de telles divisions n'existent pas. Par contre, il est clair que les contentieux de la guerre de libération ne pèsent plus dans l’évolution de l’ANP.

Les dernières promotions nous montrent, d’ailleurs, une image très différente de celle que nous donne la classe politique qui paraît toujours lestée par les vieilles querelles de l’ALN. Le contraire aurait-il été possible dans un contexte international qui fait peser sur l’ANP de lourdes responsabilités régionales ? Pour cette raison, on ne peut, en même temps, imaginer un strict cantonnement de l’ANP dans les casernes. Son intervention dans le champ politique change uniquement de forme. D’ailleurs qui pourrait y croire au moment où elle se voit confier la gestion de grandes entreprises publiques comme la SNVI ou l’ENIE ? Aurait-on pu le croire quand Bouteflika manque toujours d’une base sociale que les partis de l’Alliance présidentielle ne peuvent pas prétendre lui apporter tant leurs résultats électoraux sont mauvais et alors que le nouveau parti de son frère n’a toujours pas vu le jour ? Ou, encore, peut-on croire à un retrait de l’armée, quand le général Hamel est promu général-major, avant de devenir DGSN, en remplacement du colonel Tounsi qui, après des années, n’avait pas réussi à réorganiser la police pour qu’elle puisse produire un cadre pouvant être nommé à sa tête ? A moins qu’il ne s’agisse seulement de faire de ce poste un tremplin pour lancer la carrière politique officielle d’un nouveau porte-parole officieux de l’armée ?

En tous cas, le moment semble propice pour promouvoir un tel profil. Alors que certains évoquaient le retour de Lamari, peut-être parce que, au sein du pouvoir, on estime venu le temps d’en finir avec le terrorisme islamiste, c’est le général de corps d’armée Gaïd Salah qui, lors d’une rencontre à Oran, a donné instruction d’« éradiquer totalement le terrorisme avant la fin de l’année 2010 ». Quelles accélérations annonce cette nouvelle détermination ? Dans quelle forme et dans quels délais va-t-elle s'exprimer au plan politique ?

Quoi qu’il en soit, l’ANP, désormais, qu’on la découple du pouvoir politique ou pas, fait partie de l’équation à résoudre. Comment lui redonner l’autorité morale et le crédit dont elle a besoin pour agir en cas de nécessité ? Vieilles questions! Ce n’est pas l’approche paradoxalement courtisane de l’ANP qui prévaut autant chez Lahouari Addi que chez Saïd Sadi qui y répondra. Elle a déjà atteint ses limites. C’est celle qui a prévalu quand Zeroual a été élu président de la République et, qu’à la suite, des élections législatives ont permis au Hamas devenu deuxième force politique, entre le RND et le FLN, d’investir les institutions.

Du point de vue de la démocratisation, l’échec patent de cette stratégie entriste et quantitative montre, qu’au plan stratégique, toute solution, qui nierait l’exigence de rupture, n’est pas viable. Cette forme de partage du pouvoir ne serait que la poursuite, au mieux un aménagement, avec l'exigence d'une profonde remise en cause du système de partis actuel, de la mainmise sur le sommet de l’Etat. Ce serait une caution au despotisme qui serait ainsi « éclairé » par un Premier ministre, éventuellement accompagné de deux vice-premiers ministres pour apporter leurs lumières ! Tout ce qu’on pourrait espérer, alors, c’est d’avoir des élections sans la fraude, autant dire l’Etat de droit sans la démocratie, comme on a déjà eu la paix sans la justice et la croissance sans le développement. Ce serait seulement un jeu de balancier où les mêmes forces changeraient d’alliances. Et dans lequel l’ANP aurait toujours le monopole sur la nomination du président pour contrarier les aspirations démocratiques de la société.

Au lieu de sceller cette désunion comme le proposent certains démocrates et la graver dans le marbre constitutionnel comme l’espèrent, peut-être, des segments du pouvoir, il s’agit en vérité de revenir à la fusion historique qui a permis de vaincre le colonialisme puis, même si c'est dans une moindre mesure, de mettre en échec le projet d'État théocratique, en proposant une nouvelle unité entre l’armée, la société et l’État.

Le MDS a avancé l'idée que la solution serait que l’ANP devienne une institution transpartisane fondée sur une stratégie de défense nationale, de souveraineté et de progrès, qu’elle soit le reflet de l’ensemble des forces démocratiques qui traversent la société avec ses contradictions, mais après avoir disqualifié l’islamisme et les partis/État. Plutôt que de vouloir la cantonner dans le choix problématique, car anti-démocratique du président, c’est en séparant le politique du religieux et en n’acceptant dans le jeu politique que des partis affirmant leur adhésion aux valeurs démocratiques qu’on peut espérer que l’ANP joue le rôle qu’en attend la société. Alors qu’en 2007, nous abordions cette idée d’une ANP transpartisane, dans une émission à la chaîne III, M. Lounaouci parlait d’utopie. Dernièrement, un député du RCD, se voulant certainement pragmatique, tentait même d’expliquer qu’il suffisait de réduire le budget de la défense pour limiter les pouvoirs de l’ANP, car cela lui apparaissait comme une condition à l'émergence de la démocratie. Sans revenir sur le réalisme du RCD qui l’a souvent amené à rejoindre, en retard, les solutions « utopistes » du MDS et du courant qu’il incarne, je voudrais juste rappeler ce qu’écrivait El Hachemi Chérif, en août 1999, dans le quotidien Le Matin. Dans ce texte, intitulé « Algériens, n’oubliez pas », il disait : « Quel est le secret de la victoire éclatante du mouvement de Libération nationale sur le colonialisme ? Certains se contentent de répéter que le mouvement de libération a vaincu grâce à sa détermination et parce qu’il allait dans le sens de l’histoire, ou parce que le peuple était uni comme un seul homme. Soit ! Mais en serait-il ainsi si ne s’était pas réalisée cette symbiose – on dirait une synthèse, une fusion même entre le peuple et son armée, son avantgarde, sa force politique organisée ? Et quelle en est l’explication ? Et l’explication de l’absence d’une telle fusion, aujourd’hui, dans les conditions de cette crise violente de la modernité ? Et quelle vocation cette fusion présente-t-elle de la relation entre le peuple et son élite, une vocation de représentation froide, d’émanation mécanique, ou d’avant-garde, ou une combinaison de ces trois caractéristiques à la fois ? Pourquoi ce qui était possible hier n’est plus possible aujourd’hui ? Ne faut-il pas y voir un signe que c’est la révolution, c'est-à-dire la volonté partagée de rupture et de changement traduite en actes, qui rend possible ce qui paraissait la veille une utopie, qui libère et met en mouvement des forces gigantesques en sommeil dans la société ? Ne peut-on pas avancer l’idée qu’au fond cette fusion porte sur la relation intime entre un peuple et son État en gestation en train de s’orienter, dès ses premiers pas, dans le sens du progrès et de l’émancipation, de la liberté, de la justice et de la dignité. »

Le rapport à l’armée est donc en liaison intime avec la conception et les objectifs de la lutte politique. Une conception faite de compromis et de réformisme pour les uns, d’esprit révolutionnaire et de volonté de rupture pour les autres. Les positions par rapport à l’arrêt du processus électoral et à la lutte contre le terrorisme islamiste, comme celles en rapport avec l'été 1962 ont été des marqueurs de ces différentes conceptions. Voilà que les réconciliateurs se retrouvent rejoints par Sadi, dont ils relèvent les contradictions par rapport à l'idée de putsch. Mais si, dans un premier élan, ils lui ont apporté leur soutien c'est parce qu'il reproduit les limites de leur position en lui donnant un nouvel habillage, celui de la mise en accusation du MALG et de l’EMG. Cette approche réduit le rapport entre le politique et le militaire à un rapport de l’armée au pouvoir alors qu’il s’agit en vérité de questionner le rapport de l’armée à l’État et à la société. Ce n’est pas dans l’armée seule que l’on trouvera des remèdes à la hauteur des exigences démocratiques auxquelles doit répondre la transition dans laquelle se trouve l’Algérie. Il ne s’agit pas, en tout cas pas seulement, de faire respecter des règles du jeu à l’ANP, il faut aussi changer les règles pour des règles démocratiques. Il ne faut donc pas faire à l’ANP et aux services de sécurité des faux procès qui les laisseraient indemnes de leurs responsabilités réelles et surtout qui font diversion sur la nature de la crise que connaît notre pays. Il faut refuser une analyse partielle et partiale de la crise que l’on doit considérer comme crise de la nature de l’État et pas seulement comme une crise de pouvoir. C’est pourquoi, après avoir sous-estimé l’islamisme et le caractère rentier du régime, les démocrates ne doivent pas maintenant ignorer son glissement néolibéral lié à son évolution despotique.

Dans le camp démocratique, on n’a plus le droit de faire preuve d’indigence et d’incompétence, en négligeant la menace politique que représente le despotisme, en se disant, peut-être, qu’on a échappé au pire avec l’islamisme. La seule issue, pour les démocrates, c’est de vaincre le despotisme sur le plan politique, y compris sur sa conception du rôle de l’ANP, mais aussi sur les plans idéologique, économique et social, afin d’ouvrir la voie au changement radical et à une alternative de progrès. C'est seulement en fondant une deuxième république qu'alors une réconciliation sera possible, prenant en charge tous les épisodes douloureux de notre histoire.
Y. T.
*Membre du Mouvement démocratique et social

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