Non pas pour déplaire aux officines occidentales qui s'échinent à soulever malgré lui le peuple iranien contre son gouvernement, mais le mouvement dit de contestation qu'avait nourri la propagande particulièrement américaine l'an dernier a montré ses fort maigres capacités de mobilisation. Il s'est effiloché au fil des semaines au point même de ne plus donner signe de vie aujourd'hui.
Washington, qui avait cru renouveler son opération de déstabilisation de 1953 quand il fallait détrôner le Premier ministre Mossadegh, en utilisant le mensonge et la corruption, comme savent toujours le faire ses hommes de l'ombre, doit à présent déchanter. Et Mme Clinton qui se lamentait du retrait de la scène des contestataires à l'occasion de l'anniversaire de l'élection d'Ahmadinedjad est sans doute le premier personnage politique récoltant les effets de ses faux calculs, voire de ses déplorables maladresses.
Le Monde diplomatique consacre cette semaine, sous la signature d'un journaliste vraisemblablement iranien, un article qui analyse les causes profondes de la désaffection des Iraniens pour cette contestation, dont, par ailleurs, l'on sait depuis longtemps que, reposant en vérité sur du vent, elle avait été montée en épingle l'an dernier, à seule fin de déstabiliser le régime. En réalité, c'est surtout faute d'adhésion des couches populaires, qu'il devenait évident que les dollars versés alors pour booster le mouvement ont été dépensés en pure perte.
Voici donc le papier du journal Le Monde.
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Vers un Iran post-Ahmadinejadpar Sharareh Omidvar, journaliste
Le 12 juin marque l’anniversaire de la « révolution verte », le mouvement de contestation le plus important qu’a connu l’Iran depuis les années 1980. A l’intérieur comme à l’extérieur du pays, les mobilisations se multiplient pour célébrer cet événement. MM. Mir-Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, les deux candidats contestataires, ont exigé l’autorisation d’une manifestation à cette occasion. Il est peu probable que leur demande soit satisfaite. A l’extérieur, un peu partout dans les grandes villes européennes et américaines, différents comités, à la composition hétérogène, se préparent pour commémorer cet anniversaire.
Cependant, le mouvement s’est affaibli, d’abord à cause de la répression sans précédent qui sévit dans le pays. Après des années d’apaisement, Téhéran est redevenue la scène d’exécutions officiellement reconnues comme politiques. Arash Rahmanipour et Mohammad-Reza Ali-Zamani, accusés d’avoir participé à des manifestations et d’être membres du Conseil pour la monarchie (groupe terroriste selon le gouvernement iranien) ont été exécutés le 29 janvier 2010. Plus récemment encore, Farzad Kamangar, jeune instituteur, journaliste et militant de droits humains a été exécuté avec cinq de ses compagnons : Ali Heydarian, Farhad Vakili, Shirine Alamholi, Mehdi Eslamian. Ils étaient accusés d’être membres du groupe sécessionniste kurde Pajak.
Toutefois, la répression n’explique pas tout. Dès ses prémices, le mouvement vert souffrait de contradictions internes, en premier lieu d’une composition sociale marquée par l’absence des couches populaires.
En effet, ce front uni contre la fraude électorale était formé en grande partie par de jeunes citadins appartenant aux couches moyennes et aisées, en particulier des jeunes filles. Ce qui les réunit est avant tout un sentiment « anti-traditionaliste ». Pour certains, ce sentiment se limite aux revendications libérales à l’occidentale, pour d’autres il est enraciné dans une vision patriotique, considérant que la domination des traditionalistes a fait reculer le pays et l’a discrédité aux yeux du monde entier. Les étudiants — la partie la plus politisée de la jeunesse — n’ont pas joué de rôle moteur, malgré le renouveau des idées de gauche parmi eux au cours de ces dernières années. Le dénominateur commun de la majorité des jeunes est leur opposition à l’autoritarisme dominant, dont le président Mahmoud Ahmadinejad est le symbole.
Les couches moyennes citadines constituent également une autre base du mouvement contestataire : médecins, cadres, universitaires, enseignants, fonctionnaires, une grande partie des artistes, acteurs, réalisateurs, écrivains… Bien que toutes ces couches sociales s’opposent aux politiques menées par M. Ahmadinejad, il est difficile d’envisager à long terme une convergence entre leurs revendications. En effet, elles n’ont pas subi de la même façon les conséquences désastreuses des orientations économiques du chef de l’Etat. Cependant, il semble qu’elles partagent certaines aspirations : un Etat de droit, la fin des privilèges gouvernementaux, la liberté de presse... et une même inquiétude concernant l’instabilité économique et sociale et des prises de position aventureuses sur la scène internationale.
Une partie de la grande bourgeoisie soutient également le mouvement. Les nantis vont des médecins actionnaires des hôpitaux luxueux (comme l’hôpital Day qui ressemble plus à un hôtel cinq étoiles, et qui exige des milliers d’euros pour chaque intervention) aux nouveaux riches qui ont fait une immense fortune depuis la révolution (technocrates proches du régime, entrepreneurs, chefs d’entreprise…). Pour un grand nombre d’entre eux, il s’agit plutôt d’une farouche opposition à M. Ahmadinejad que d’une sympathie pour MM. Moussavi et Karoubi.
Le mouvement vert n’a jamais pu mobiliser les couches défavorisées, et cela sans doute est son principal handicap.
Troisième raison d’apaisement éventuel, une dynamique de la peur aussi bien diffuse chez les dirigeants de l’opposition qu’à la base du mouvement. Les réformateurs représentés par M. Moussavi et M. Karoubi sont toujours restés fidèles à une évolution dans le cadre du régime islamique. La radicalisation possible des mobilisations les effraie. C’est la contradiction profonde des réformateurs, qui n’envisagent l’avenir qu’au travers de réformes constitutionnelles. Rejetant une mise en cause des fondements du régime, ils ne sont pas en mesure de se transformer en « Gorbatchev » ou « Eltsine » de la Révolution iranienne.
Une peur de nature différente existe aussi dans la population. Les Iraniens, même ceux qui n’appuient plus le régime, craignent un changement radical. Si l’Iran a pris ses distances avec son anti-américanisme de l’aube de la révolution, la peur d’une intervention militaire, d’un chaos semblable à celui qui règne en Irak ou en Afghanistan est aussi présente. Les Iraniens veulent le changement, mais refusent de le payer au prix fort.
De moins en moins de soutiens pour Ahmadinejad
Les dirigeants du mouvement à l’intérieur, MM. Moussavi et Karoubi, continuent leurs actions dans le cadre légal et ne souhaitent pas renverser le régime. Les durs du pouvoir n’ont pas réussi à les arrêter ni à les empêcher de communiquer. Ils sont toujours libres. A l’extérieur du pays, aucune personnalité ou organisation n’a pu s’imposer à la tête du mouvement. Les événements en Iran sont ainsi restés sous l’hégémonie des contestataires issus du régime.
Mais cela ne veut pas dire que M. Ahmadinejad ait réussi à écarter ses adversaires et à faire régner le silence autour de lui. Bien au contraire, même parmi les conservateurs, ses soutiens sont de moins en moins nombreux. En effet, le conflit entre M. Ahmadinejad et les conservateurs qui s’est manifesté dès son arrivé au pouvoir, concernant le choix de son adjoint M. Rahim Mashai (1), n’a fait que s’aggraver depuis. M. Ahmadinejad a accusé récemment le parlement d’avoir voté plus de 130 textes qui sont contre les principes islamiques et constitutionnels.
Plus important encore, le clan Ahmadinejad n’a jamais réussi à imposer l’arrestation de ses adversaires : finalement M. Moussavi, M. Karoubi , M. Ali Akbar Rafsandjani et ses proches ont été épargnés. Déjà en août 2009, le Guide suprême, Ali Khamenei, avait pris une position claire en déclarant : « Je n’accuse pas les dirigeants des contestations d’être des agents américains ou britanniques. » Avec du recul, on peut penser que l’Iran s’oriente à petits pas vers l’après-Ahmadinejad.
Un événement récent est assez significatif. Le vendredi 4 juin 2010, lors de la cérémonie d’anniversaire du décès de l’ayatollah Khomeiny, certains manifestants pro-Ahmadinejad ont essayé d’empêcher le petit-fils de Khomeiny de finir son discours. Ils l’accusent d’être un réformateur. Le député conservateur Ali Motahari, a déclaré au parlement : « Si la justice iranienne avait bien agi contre les responsables du complot de l’année dernière, les événements de ce vendredi ne se seraient pas produits. » Selon lui, les responsables du « complot » (les manifestations post-électorales) ne sont pas seulement M. Moussavi et M. Karoubi mais aussi…M. Ahmadinejad.
Sharareh Omidvar
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(1) La nomination de M. Rahim Mashai au poste de premier adjoint du président a été désapprouvée par Ali Khamenei et les conservateurs. M. Ahmadinejad a long temps hésité avant de le révoquer. Il est actuellement le chef du cabinet du président.