C'était le soir du 9 novembre 1989 que Günter Schabowski, membre du bureau politique du SED (Parti communiste est-allemand), tenait une conférence de presse plutôt improvisée, pour tenter de calmer l'atmosphère révolutionnaire devenue quasiment incontrôlable à Berlin-Est. Ni le limogeage du premier responsable Honecker intervenu quelques jours plus tôt ni celui de son successeur précédant à peine la désignation de Shabowski n'avaient réussi à ramener jusque-là le calme dans la capitale.
Aussi, fut-ce dans l'impréparation la plus totale que ce dernier annonçait l'ouverture immédiate des frontières. Il n'avait pas même pris soin de vérifier au préalable si les conditions étaient réunies pour permettre à ses compatriotes, impatients de franchir le mur vers l'ouest, de se ruer par milliers sur les postes frontières. Aussi, la pression devint telle, dès cette annonce, que les services chargés d'assurer la sécurité autour du mur ont fini d'eux-mêmes par prendre l'initiative d'ouvrir en grand les portes et de laisser la foule de plus en plus nombreuse quitter le pays sans le moindre contrôle.
Pendant ce temps, des milliers d'autres prenaient d'assaut le mur pour s'y jucher et y ouvrir une première brèche puis d'autres avant d'entreprendre sa démolition complète sous les yeux médusés des policiers et des militaires. Il n'en fallut pas davantage d'ailleurs pour sonner le glas de la République démocratique allemande et la fin de l'emprise soviétique sur cette zone occupée depuis quarante ans.
Se dessinait alors la réunification allemande en perspective. Elle survint à une vitesse telle que ne purent la freiner ni les autorités est-allemandes désormais réduites à quia ni même les autorités des puissances occupantes, comme la France, l'Angleterre et les USA, prises vraiment de court par une évolution des choses dépassant de loin leurs prévisions les plus optimistes. L'on sait, en effet, que Mitterrand comme Mme Tatcher redoutaient déjà tout particulièrement les conséquences fâcheuses que cette réunification pouvait faire peser sur la paix. Un pays réunifié de 80 millions d'habitants en Europe ne pouvait-il pas, par son seul poids humain et économique, être tenté d'imposer son diktat à toute l'Europe ? Là était l'objet des inquiétudes qui commençaient à voir le jour dans les principales chancelleries occidentales, et notamment à Paris et à Londres. Personne ne voulait croire que le désir seul de recouvrer la liberté pût justifier tant de volonté d'une partie du peuple allemand à retrouver l'autre partie avec laquelle elle partage tant de liens historiques et tant de valeurs communes depuis la nuit des temps.
Aujourd'hui que l'on fête une aussi grande victoire sur l'absurdité d'une division imposée naguère par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, l'on oublie, bien sûr, de rappeler que le monde la doit principalement à un homme et un seul, Gorbatchev, le secrétaire général du P.C.U.S., dont l'intelligence aiguë percevait déjà bien avant cette date la fin de l'hégémonie et l'éclatement inexorable du bloc soviétique. Le temps était venu pour ce dernier de se remettre en cause pour s'adapter aux nouvelles exigences du monde moderne, où la liberté des hommes s'impose partout comme principe inaliénable et incontournable.