Non sans quelque agacement chacun se souvient de la répartie stupéfiante de Bouteflika, ce fameux soir d’été 1999, où, fier de son aura, il déclarait, sans gêne, qu’il aurait pu lui-même rejoindre les terroristes islamistes du maquis, s’il s’était trouvé dans le pays (livré à des excès intolérables, sous-entendait-il), tout au début de la décennie. C’était là, pour lui, sa manière de jeter l’opprobre sur les gouvernants de la “décennie noire”, autrement dit Chadli et son équipe. En même temps, il entendait se venger ainsi des poursuites, pourtant légales et bien régulières, qui avaient été exercées contre lui par la Cour des comptes, à propos du fameux détournement de 22 milliards dont on l’accusait, par surcroît du temps où, comme ministre des Affaires étrangères, il jouait un rôle de premier plan. Mais aussi, en révélant son penchant prononcé pour l’intégrisme islamiste, le “messie” de l’époque exprimait alors publiquement son approbation et son soutien aux activistes du FIS, de l’AIS, du GIA, et tutti quanti, pour leurs innommables crimes qui, huit ans après, continuent toujours d’endeuiller le pays.
Aujourd’hui qu’avec un culot indécrottable, des flagorneurs s’empressent de leur côté de représenter, au profit du prince, un dossier de candidature pour un prix Nobel, voilà que deux bombes explosent à Alger, tuant plus de vingt personnes et en blessant près de deux cents. Ces deux bombes ont été signées, bien sûr, par ces mêmes maquis au profit desquels, pourtant, Bouteflika et la cohorte d’islamistes qui l’entourent, les partis politiques et la société civile quasi-unanimement, ont réussi la prouesse, inédite de par le monde, de faire plébisciter une aussi abusive qu’étrange mansuétude qui élargit à jamais et dédommage royalement des milliers de criminels barbares.
Sortis de leurs geôles avec la satisfaction non seulement d’avoir fait plier toute une armée, des institutions soi-disant républicaines, en un mot le droit tout court, ces égorgeurs, ces éventreurs, ces lâches désormais narguent la société qu’une loi scélérate interdit même sévèrement de simplement désigner comme tels. Dans leurs voitures rutilantes ou leurs magasins payés le plus souvent avec le fruit sanglant des cambriolages, des rackets et autres rançons ou rapts opérés en toute impunité, en définitive, ils sont là, quand ils n’ont pas carrément repris le chemin des maquis pour poursuivre leurs crimes de bas étage, à se dandiner aux yeux des populations médusées, comme de leurs victimes incapables pour le moins d’exprimer leur colère.
Tout compte fait, sont-ce bien des gens du peuple qui tombent sans discontinuer sous les balles et les bombes assassines, les responsables, à partir d’un certain niveau, restant nuit et jour efficacement protégés par des gardes du corps payés par le contribuable. Et, pendant ce temps, Bouteflika et sa bande de vautours peuvent vaquer librement à leurs occupations et dormir tranquilles…
Ceux qu’il faut vraiment plaindre, enfin, c’est bien ces dirigeants de partis politiques qui se gaussaient hier encore de la simple application du droit le plus élémentaire, quand la sagesse commandait au minimum la fermeté et la condamnation sans appel des dérives imprimées à la tonitruante loi non de réconciliation mais de discorde nationale.