La Birmanie ravagée par un cyclone

Nargis, le cyclone dévastateur, qui a déferlé sur la Birmanie, ce malheureux pays qui a déjà été rudement éprouvé l'été dernier par une répression sans bornes des manifestants pour la démocratie, a causé jusqu'ici 15 000 morts en sus de 30 000 personnes portées disparues.

La catastrophe est survenue il y a quatre jours, principalement dans la localité de Bocalay, située à 90 km de la capitale, Rangoon. Bocalay, détruite à 95 %, a perdu à elle seule 10 000 de ses habitants, tandis que 190 000 autres sont recensés désormais au nombre des sans-abri.

Ce cyclone, classé en catégorie 3, a été accompagné d'un vent déferlant parfois à 190 km/h, indique le journal Le Figaro. « La vague faisait près de 3,5 mètres de haut et elle a balayé et inondé la moitié des maisons dans les villages situés au-dessous du niveau de la mer », a déclaré le ministre des Secours et de la réinstallation, Maung Maung Swe.

Devant une situation d'une si grande gravité, les autorités birmanes se sont montrées d'une étrange froideur. Au lieu d'ouvrir leurs portes aux secours internationaux, elles ont tenté longuement d'imposer leurs conditions, avant de céder finalement sous la pression des organisations internationales. A présent, le monde se mobilise afin de porter les premiers secours aux victimes. C'est ainsi que l'U.E., les USA, les organisations spécialisées de l'ONU et de nombreux autres pays dépêchent d'ores et déjà des aides diverses qu'elles placent entre les mains d'associations humanitaires, seules habilitées à les distribuer.

L'on craint par contre qu'une épidémie ne se déclare dans les régions inondées pour menacer les survivants.

Enfin, il semble surtout regrettable que les autorités du pays n'aient pas cru devoir alerter leurs populations à l'approche du cyclone ni prendre des précautions pour prévenir ces énormes pertes humaines.

"Quarante-huit heures avant que Nargis frappe, nous avons fourni aux agences birmanes le point d'impact, sa gravité et toutes les questions qui y sont liées. Il y avait suffisamment de temps pour prendre des mesures de précaution telles que l'évacuation", a affirmé B.P. Yadav, porte-parole du département indien de la Météorologie, rapporte le journal Le Monde.

Ce dernier ajoute : « L'ONU, qui affirme que la situation sur le terrain est "équivalente aux zones dévastées par le tsunami" qui avait frappé le Sud-Est asiatique en 2004, regrette qu'aucun système d'alerte n'ait été mis en place par le pouvoir birman. "Manifestement beaucoup de gens n'ont pas eu le temps" de partir "et de se réfugier dans des abris sécurisés", a souligné Brigitte Léoni, porte-parole du secrétariat de l'ONU pour la prévention des catastrophes (SIPC) ».

La preuve est donc établie que les autorités birmanes étaient au courant de l'imminence du passage du cyclone, et le silence observé depuis par elles en dit long sur leur responsabilité directe devant la lourde addition de victimes emportées par les eaux.

On est bien loin des estimations énoncées il y a à peine 48 heures, à propos du nombre de victimes emportées par les eaux en Birmanie. Des dizaines de villages ont totalement disparu, a indiqué la chargée d'affaires américaines, s'appuyant sur des déclarations d'une organisation humanitaire opérant sur place. L'on parle désormais de 100 000 morts au moins, devant la réalité des énormes dégâts qui ont secoué le pays. Hier soir la télévision publique annonçait déjà 22980 morts et 42119 disparus.

Il faut dire que c'est seulement maintenant que les autorités de Rangoon acceptent enfin de recevoir, mais au compte-gouttes, l'aide humanitaire offerte par les Etats-Unis. Et il semble qu'elles n'aient cédé que sous la pression de la Chine, pays voisin et protecteur, qui s'est rendue elle-même à l'évidence de la nécessité d'introduire sans tarder l'assistance étrangère pour soulager les victimes. C'est le sens même qu'il faut donner à la déclaration de son porte-parole du ministère des Affaires étrangères : "En raison de l'ampleur du désastre en Birmanie, la communauté internationale a exprimé son inquiétude, ainsi que sa volonté de fournir de l'aide", avant d'ajouter : "C'est naturel et nous espérons que la Birmanie coopérera avec la communauté internationale et aura des consultations avec elle et qu'elle surmontera le désastre rapidement", tout en appelant cependant au respect de la souveraineté de ce pays.

De son côté, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a exhorté avec insistance le gouvernement birman à ouvrir l'accès à l'assistance internationale. L'aide de l'organisation mondiale, elle-même, parvient d'ores et déjà par avion à Rangoon.

Les populations atteintes ont en effet le plus grand besoin urgent d'abris, d'eau, de vivres et de médicaments. On estime à au moins un million le nombre des personnes attendant des secours. Et ces derniers, venus de tous les horizons, tardent encore à pénétrer dans le pays fermé par la volonté de dictateurs ayant surtout peur d'être chassés du pouvoir.

"La Birmanie donne la priorité à la réception d'aides d'urgence et fait des efforts acharnés pour les faire transporter sans délai par ses propres travailleurs dans les zones affectées", a déclaré le ministère des Affaires étrangères birman, selon les agences de presse. De plus, "La Birmanie n'est pas prête à recevoir des équipes de recherche et de secours, ainsi que des équipes de journalistes, de pays étrangers", a ajouté ce ministre, dont le gouvernement ne semble guère disposé à laisser les secours venus de l'étranger prendre en charge les victimes du cyclone.

Le régime entend donc gérer lui-même l'aide internationale qui arrive sous forme de médicaments, de produits alimentaires ou simplement de fonds. C'est dire qu'il cache mal son intention d'en laisser détourner une partie au profit des apparatchiks, comme cela se passe généralement dans ce genre de concours internationaux adressés aux pays pauvres.

Pour bien montrer sa détermination, il a refoulé ce matin tous les passagers d'un avion chargé de journalistes et de volontaires de l'humanitaire, en provenance du Qatar, qui étaient venus apporter leur assistance ou suivre l'évolution de la situation pour le compte des médias.

L'on craint désormais, avec la lenteur de distribution des vivres et des médicaments, que le nombre de victimes ne s'allonge ou qu'une épidémie ne se déclare à l'approche des grosses pluies qui sont annoncées.

Contrairement à ce que l'on a laissé entendre jusqu'ici, les autorités birmanes semblent plutôt n'opposer aucune objection à ce que les organisations humanitaires opérant sur place distribuent elles-mêmes les aides qui commencent à présent à entrer normalement dans le pays.

Pour preuve, le PAM (Programme alimentaire mondial) de l'ONU déclare avoir repris possession de la cargaison de l'avion que l'on avait jusqu'ici considérée à tort comme confisquée. De son côté, MDM (Médecins du monde) prend elle-même en charge la distribution de l'aide ramenée avec l'aide de l'équipe ramenée à dessein sur place. Elle attend une seconde cargaison dont le vol est programmé pour demain. Enfin, le transfert des 35 tonnes de matériel de secours ramené par le C.I.C.R. a été normalement établi au profit de la Croix rouge locale.

Le seul regret exprimé par l'ONU est de n'avoir pas pu toucher le million et demi de sinistrés qui attendent des soins et des secours alimentaires, l'organisation n'ayant traité jusqu'ici que 500 000 personnes environ.

Pour la petite histoire, enfin, un bateau transportant de l'aide pour la Croix rouge a chaviré après avoir percuté un arbre, dans le sud-ouest du pays, sans faire de victimes fort heureusement. Tout l'équipage du navire s'en est tiré à bon compte.

Pendant que des centaines de milliers de malheureux souffrent en silence dans ce pays ravagé par un cyclone d'une rare violence et par une dictature médiévale, il se trouve malheureusement des franges du pouvoir qui s'approprient, toute honte bue, une partie de l'aide internationale reçue. C'est du moins ce que déclare une organisation britannique, activant sur place, du nom de Campagne pour la Birmanie, dont les propos sont étayés d'ailleurs par la presse locale, indique le journal Le Monde.

Dans ce décor apocalyptique, d'aucuns éprouvent encore le besoin de s'adonner à des pillages, comme le dénonce ce reporter clandestin de la radio de l'opposition birmane diffusant à partir de Norvège : "C'est une vision épouvantable que de voir des corps partout, dans les villages et dans les criques. La nuit, c'est effrayant, car des gens viennent en bateau dans les villages désertés pour emporter les tracteurs chinois et d'autres machines. D'autres se faisant passer pour des sauveteurs ont dit à des jeunes femmes survivantes de venir avec eux et, une fois à bord, les jeunes femmes ont été dépouillées de ce qu'elles avaient, violées et abandonnées dans les villages voisins."

Le journal cite, à ce propos, le cas de femmes auxquelles on a tranché les mains et les oreilles, pour les délester de leurs bijoux.

Plus insoutenable aussi est la discrimination faite par les autorités en distribuant des vivres aux seules personnes soutenant le régime, comme le dénonce cette femme à la radio d'opposition : "Les gens qui meurent vraiment de faim n'ont rien reçu. La nourriture était distribuée aux gens de leurs propres organisations. Seulement une cinquantaine de victimes ont reçu de la nourriture", raconte-t-elle, en ajoutant qu'à son avis, 10 000 personnes en auraient besoin dans sa localité.

L'on a dénombré 62 000 morts et disparus jusqu'ici, indique un bilan officiel rendu public.

Par surcroit, Louis Michel, commissaire européen au Développement, qui s'est porté sur les lieux, craint que la famine ne s'installe désormais dans la région affectée par le cyclone. Ce dernier, selon lui, a englouti les stocks de riz. qui se trouvaient sur place.

De nouveau, les autorités birmanes ont ressorti le chantage de l'acceptation de l'aide internationale contre le contrôle de sa distribution. Des barrages militaires sont mêmes dressés sur les routes pour empêcher l'infiltration des étrangers.

Pendant ce temps, les victimes souffrent toujours, en l'absence de vivres et de soins. Seulement 10 à 20 % d'entre elles, estime-t-on, ont reçu les secours attendus ; mais la masse des deux millions autres malheureux est loin d'être pourvue en produits alimentaires, et surtout en eau et en médicaments.

Comme partout ailleurs, dans les pays sous dictature, la télévision locale continue, elle, d'abreuver ses téléspectateurs d'images montrant des militaires distribuant de l'aide aux victimes.