L'islamisme de Ghanouchi inquiète en Tunisie

Revenu par la grande porte de son exil de Londres, à la faveur de la "révolte du jasmin" qui a conduit à la chute du dictateur Ben Ali, Rached Ghanouchi, responsable du parti islamiste Ennahda réhabilité désormais, se pose d'ores et déjà en leader d'un mouvement capable d'emporter les prochaines élections présidentielles et législatives. L'on feint presque d'oublier qu'à cause de l'entrisme de cette formation, entrée tardivement en scène et qui s'était déclarée prête à négocier avec le régime décadent au dernier moment de la révolte, elle avait failli faire capoter la démarche des manifestants fermement résolus, eux, à exiger le départ du despote sans condition préalable.

Le verbe haut et l'œil vif, le Coran lui servant toujours de référence et d'appui, Ghanouchi entreprend d'ores et déjà, exactement comme le parti extrémiste FIS d'hier à Alger, de galvaniser ses troupes et d'élargir le champ de son implantation dans le pays. Son journal reparaît et 170 locaux sont ouverts pour recueillir et développer massivement les adhésions au parti, à l'approche des prochaines échéances électorales.

La verve d'un maître du barreau sachant peser subtilement ses arguments, l'ancien avocat de Tunis, 66 ans, a la réplique toujours prompte à toute question ayant trait à l'islamisme. Il parle volontiers de "justice pour tous", de "démocratie", d'"égalité des sexes", etc., mais rattache chacun de ses mots à l'islam. "N'est-ce pas que l'article x de la constitution tunisienne affirme bien que "l'islam est la religion de l'État" ? interroge-t-il, pour couper court à toute intention de lui faire dire ce qu'il rejette : l'État laïque.

La charia ? "L'État tunisien est un État islamique selon l'actuelle Constitution, sa législation est inspirée de la charia, elle-même influencée par les lois françaises de Napoléon, elles-mêmes influencées par le malékisme. Quand Napoléon est revenu d'Égypte, il a ramené deux choses : l'obélisque et le livre de Khalil, l'un des grands livres de jurisprudence malékite. Vous voyez, il y a des points communs entre la législation française et tunisienne.", répond-il au micro du journal Le Monde.

Il ajoute, certes, qu'il est pour la parité et promet même de présenter des candidates têtes de listes, mais le discours s'arrête là, le leader refusant toute autre concession.

De telles déclarations ne manquent pas d'inquiéter la gent féminine dans son pays qui craint de devoir déchanter si des hommes comme lui venaient à s'emparer des leviers de commande. Des militantes pour les droits de la femme ne se reconnaissent guère dans un discours verrouillé et n'ayant rien de moderniste qui maintient la femme dans son carcan habituel, où ses droits d'héritage par exemple restent ceux définis par la charia, où sa liberté actuelle de mouvement et de vie demeure toujours dictée par ce carcan islamique.

Aussi, nombre de Tunisiens et surtout de Tunisiennes s'interrogent-ils sur leur devenir, si jamais des partis islamistes comme celui d'En-Nahda prenaient par aventure les rênes du pays. Assurément, la démocratie, la laïcité, la parité et l'égalité des droits s'envoleraient toutes en fumée...